Toutes relaient la même vidéo TikTok d'un peu moins d'une minute qui comporte l'inscription "Dernières nouvelles".
"C'est officiellement voté : la fin des allocations familiales et des APL pour les étrangers en France", affirme la narratrice de la séquence.
"Un amendement, adopté discrètement lors des discussions sur le projet de loi immigration, impose désormais une condition de résidence de 5 ans pour accéder aux prestations sociales non-contributives telles que les allocations familiales, l'APL, le droit au logement et la prestation de compensation du handicap. Le rapporteur Philippe Bonnecarrère y voit une mesure visant à éviter l'appel d'air", poursuit la voix.
"Malgré un avis de sagesse de Michel Barnier, la gauche critique vivement cette décision accusant le gouvernement d'accentuer la précarité des enfants dans des familles régularisées et travailleuses. Dorénavant, une résidence stable et régulière de 5 ans sera nécessaire pour bénéficier de ces aides", conclut la vidéo, évoquant également "la suppression de l'Aide médicale d'Etat".
D'autres vidéos sur TikTok relaient des propos similaires tout en titrant elles-aussi sur "la suppression des allocations pour les étrangers en France" comme ici et ici.
Mais il s'agit d'une ancienne séquence qui ne dépeint pas la réalité des conditions d'accès aux différentes prestations sociales pour les personnes de nationalité étrangère.
Ces publications refont surface alors que le gouvernement a annoncé son intention de présenter une nouvelle loi immigration pour 2025. Selon le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, celle-ci pourrait être identique à la version de la loi immigration qui avait été adoptée par le Parlement avant d'être partiellement censurée par le Conseil constitutionnel (lien archivé ici).
Proposer une nouvelle loi, "pourquoi ? Pour diviser le Parlement ? Pour hystériser les débats ?", a interrogé dans Les Échos l'ancien ministre de l'Industrie Roland Lescure, disant espérer "qu'il ne s'agit pas d'un appel du pied au Rassemblement national".
Pour son remplaçant au portefeuille de l'Industrie, Marc Ferracci, un proche d'Emmanuel Macron, "l'immigration et en particulier l'immigration de travail est une nécessité". Des propos jugés "inacceptables" par la cheffe des députés RN Marine Le Pen sur X, qui a appelé Michel Barnier à se positionner "rapidement" pour savoir "si l’immigration massive et incontrôlée est un projet" ou "si c’est un problème".
A gauche, l'eurodéputée LFI Manon Aubry a dénoncé une "diversion" à l'heure où le gouvernement prévoit des dizaines de milliards d'économies sur la dépense publique. "Ils vont acheter le soutien du RN, en copiant-collant leur projet et leur programme", a-t-elle martelé sur Europe1-Cnews.
Selon un décompte réalisé par le journal Le Monde, la France a voté 57 lois et ordonnances sur l'immigration depuis 1945 dont 19 depuis 2002 (lien archivé ici).
Loi adoptée par le Sénat fin 2023
La vidéo virale est une reprise à l'identique d'une séquence publiée en novembre 2023 sur TikTok.Cette vidéo revenait sur l'adoption, par le Sénat, d'une version durcie du projet de loi sur l'immigration qu'avait alors rédigé le gouvernement (lien archivé ici).
La réforme reposait initialement sur deux "jambes" : contrôler l'immigration et améliorer l'intégration. Après son passage au Sénat, première étape de son parcours parlementaire, l'accent avait été mis sur le volet répressif, avec une quantité de mesures pour faciliter les expulsions d'étrangers "délinquants", simplifier les procédures d'éloignement et décourager les entrées sur le territoire (lien archivé ici).
Parmi les mesures ajoutées par les sénateurs, figurait la nécessité pour les étrangers de justifier de cinq ans de résidence (au lieu de six mois) pour pouvoir bénéficier d'allocations comme l'aide personnalisée au logement (APL) ou les allocations familiales.
C'est ce que Philippe Bonnecarrère, alors sénateur du Tarn, avait qualifié d'amendement "anti appel d'air" lors de discussions au Sénat, comme mentionné dans la vidéo virale (lien archivé ici).
Mais cette mouture n'est pas entrée en vigueur et a subi de nombreux changements, comme il est possible de le constater sur le dossier législatif de la loi (lien archivé ici).
Texte de compromis
Après une première lecture à l'Assemblée nationale, les députés ont adopté le 11 décembre 2023 par 270 voix contre 265 une motion de rejet préalable du projet de loi immigration, avec les voix de la gauche, des LR et du RN, infligeant une lourde défaite politique au gouvernement (lien archivé ici).L'adoption de cette motion a entraîné l'interruption de l'examen du texte et la convocation par le gouvernement d'une Commission mixte paritaire (CMP), réunissant sept députés et sept sénateurs.
Rouage clé mais peu connu du fonctionnement du Parlement, une CMP peut être convoquée par le gouvernement en cas de désaccords entre les deux chambres sur un projet de loi. Elle a alors pour mission de bâtir, à huis-clos et sans représentant du gouvernement, un texte de compromis.
Ayant débuté le 18 décembre 2023, les travaux de la CMP ont abouti à un accord le lendemain, après une nuit chaotique, en raison notamment de désaccords de dernière minute sur des questions liées aux prestations sociales (lien archivé ici).
La question inflammable d'une durée de résidence minimale en France pour que les étrangers non européens en situation régulière puissent toucher des prestations sociales avait failli faire capoter les tractations finales.
La droite voulait instaurer un minimum de cinq ans pour ouvrir le droit aux allocations familiales, aux aides au logement (APL) ou encore à la prestation de compensation du handicap (PCH).
Le compromis scellé au forceps par la CMP s'est finalement basé sur une distinction entre les étrangers non communautaires selon qu'ils soient ou non "en situation d'emploi". Pour les allocations familiales, le droit opposable au logement ou encore l'allocation personnalisée d'autonomie, un délai de cinq ans a ainsi été prévu pour ceux qui ne travaillent pas. Et un délai de trente mois pour ceux en situation d'emploi.
Pour l'accès aux APL, qui a été le principal point d'achoppement, une condition de résidence de cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas et à trois mois pour les autres a également été instaurée par le texte.
Le Parlement a finalement approuvé définitivement cet accord le 19 décembre 2023 au prix d'une fracture au sein du camp présidentiel, dont une partie s'est détournée d'un texte soutenu à la dernière minute par le Rassemblement national (lien archivé ici).
Dans les jours suivant ce vote, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes de France comme à Rennes, Lille et Paris (liens archivés ici et ici).
Mais cela ne signifie pas que toutes les mesures du texte sont aujourd'hui mises en application.
Censure du Conseil constitutionnel
Fin décembre 2023, le Conseil constitutionnel a été saisi par Emmanuel Macron, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet et plus de 120 parlementaires pour contrôler la constitutionnalité de la loi immigration, comme précisé sur cette archive de son site.Sur les 86 articles adoptés par le Parlement, 32 ont été censurés totalement ou partiellement, faute de lien suffisant, "même indirect", avec le projet de loi initial du gouvernement, selon la décision rendue par les Sages le 25 janvier 2024 (lien archivé ici).
Parmi ces mesures rejetées, figurait le durcissement de l'accès aux prestations sociales que le législateur voulait conditionner à une durée de résidence allant jusqu'à cinq ans.
Cette censure d'environ un tiers du texte a satisfait le camp présidentiel qui y a vu un retour au projet de loi initial et a soulagé la gauche, tandis que la droite et l'extrême droite étaient vent debout contre cette décision, appelant à une réforme de la Constitution (liens archivés ici et ici).
En avril, le Conseil constitutionnel a infligé un nouveau revers à la droite en invalidant le référendum d'initiative partagée (RIP) qu'elle entendait lancer pour consulter les Français sur le thème de l'immigration (lien archivé ici).
Dans une décision qui fait jurisprudence, les Sages ont estimé que subordonner "le bénéfice de prestations sociales" à une condition de résidence en France d'une durée d'au moins cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas et 30 mois pour les autres porte une "atteinte disproportionnée" aux "droits à la protection sociale" des étrangers en situation régulière (lien archivé ici).
"Les exigences constitutionnelles [...] impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées", a rappelé dans sa décision le Conseil constitutionnel.
A date du 17 octobre 2024, la règle pour toucher les allocations familiales, comme pour la plupart des aides sociales, est donc toujours d'avoir séjourné au moins la moitié de l'année écoulée en France, soit six mois, en situation régulière.
Cette règle est toutefois amenée à évoluer, puisque comme le précise ce décret publié le 19 avril 2024, il faudra à partir du 1er janvier 2025 avoir résidé dans le pays "pendant plus neuf mois au cours de l'année civile de versement" pour toucher des "prestations familiales", catégorie comprenant notamment les allocations familiales et la prime à la naissance d'un enfant.
Concernant les APL, elles sont également indisponibles pour les étrangers en situation irrégulière comme l'indique l'article L822-2 du code de la construction et de l'habitation.
Une condition d'occupation effective du logement principal est aussi instaurée, à savoir que le logement doit être occupé "soit par le bénéficiaire de l'aide personnelle au logement, soit par son conjoint, soit par une des personnes à charge au sens de l'article R. 823-4, au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure", précise l'article R822-23 du même code.
Contactée par l'AFP, la Caisse nationale d'allocations familiales a indiqué le 16 octobre 2024 qu'il "n'y a pas de délai de résidence préalable sur le territoire pour bénéficier des aides au logement. Ces exigences ne s'appliquent que pour le Revenu de solidarité active (RSA) et la Prime d'activité".
D'autres mesures de la loi immigration - non censurées par le Conseil constitutionnel - sont entrées en vigueur en juillet, concernant notamment "le délai d’édiction d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour les demandeurs d’asile, le contrat d'engagement au respect des principes de la République que doivent désormais signer les étrangers souhaitant un titre de séjour, ou encore les modalités de l’assignation à résidence pour les demandeurs d'asile", comme le rappelle le site Service public (lien archivé ici).
L'AFP a déjà vérifié à plusieurs reprises des affirmations fausses ou trompeuses concernant les prestations sociales comme ici ou ici.
- Auteur(s)
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Théo MARIE-COURTOIS / AFP France