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À la recherche d’une rivière disparue

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Les ruisseaux naissent de l’accumulation du ruissellement des eaux de pluie, puis grandissent en rivières qui se réunissent pour former des fleuves qui rejoignent les mers et les océans. Mais tous les cours d’eau ne restent pas à la surface : certains rencontrent des fractures dans le sol et s’y infiltrent. En pays calcaire, ces infiltrations creusent lentement la roche par action chimique et mécanique jusqu’à former des galeries souterraines qui forment le nouveau lit souterrain des rivières : c’est le « karst », composé de grottes et gouffres qu’explorent les spéléologues.

À la recherche d’une rivière disparue

L’ensemble de ces aquifères souterrains représente 99 % des réserves d’eau douce liquide sur Terre, d’où l’importance de comprendre ces ressources pour pouvoir les gérer et les protéger. Dans le contexte de réchauffement climatique et de sécheresse croissants, ces réserves en eau douce suscitent de plus en plus d’intérêt pour les collectivités locales. Les pollutions générées par les activités anthropiques de surface, par exemple l’industrie ou l’agriculture, peuvent s’infiltrer dans les eaux souterraines et altérer la qualité des eaux de consommation.

Les réseaux karstiques sont minutieusement décrits par les spéléologues pendant leurs explorations (dimensions et orientations des galeries, volumes des salles, dénivelés…) qui synthétisent leurs observations sous forme de coupes et de plans. Parmi les objets géologiques recensés, les fractures constituent des points stratégiques d’accès aux eaux souterraines qui intéressent tout particulièrement les hydrogéologues pour les questions d’alimentation en eau des collectivités. C’est par ces zones de vides que les eaux de surface s’infiltrent dans les sols par gravité, mais aussi qu’elles résurgent par temps très pluvieux, quand le réseau de cavités souterraines est rempli d’eau. Sous terre, certains conduits sont totalement ennoyés et infranchissables.

Il faut trouver d’autres moyens pour comprendre la circulation des eaux souterraines. Le concept consiste alors à colorer l’eau avec de la fluorescéine sur le point amont le plus accessible de la rivière, et à mesurer la concentration de cette fluorescéine aux différents points de sortie (exutoire ou résurgence) connus ou supposés. C’est, par exemple, un incendie aux usines Pernod de Pontarlier en août 1901 qui a permis d’établir la connexion souterraine entre le Doubs et la Loue par l’intermédiaire d’un relargage d’absinthe en grandes quantités dans la rivière.

En Meurthe-et-Moselle, Meuse et Vosges, l’Aroffe est une rivière qui joue à cache-cache au gré des saisons et de la météo entre un cours souterrain pérenne et un cours aérien temporaire et continue d’intriguer ceux qui la côtoient. En effet, le cours souterrain d’un potentiel d’au moins 30 kilomètres n’est actuellement exploré que sur 2,5 kilomètres. Spéléologues et géologues ont récemment collaboré pour affiner les études topographiques et colorimétriques déjà entreprises sur une des résurgences de l’Aroffe, « le Fond de la Souche », en testant une nouvelle technique basée sur la mesure des propriétés électriques des sous-sols.

L’Aroffe prend sa source à Beuvezin et se perd en souterrain à travers une succession de fractures à Gémonville. Les eaux de l’Aroffe réapparaissent en surface à la source de la Rochotte à Pierre-la-Treiche et se jettent dans la Moselle. Par temps extrêmement pluvieux, la trentaine de kilomètres de réseau souterrain se remplit jusqu’à un débordement qui se manifeste en surface par des résurgences, appelées localement des « deuilles », qui jouent le rôle de trop-plein. L’Aroffe s’écoule alors en surface et va se jeter dans la Meuse. L’objectif de l’étude est de tenter de déterminer le cours souterrain précis dans un but de recherche.

Pourquoi nous intéresser à la résurgence du Fond de la Souche ?

À la suite de travaux menés en 1971 par les spéléologues, une fracture de 25 mètres de profondeur est ouverte au Fond de la Souche à Harmonville. Celle-ci aboutit dans un ruisseau qui, au bout d’environ 200 mètres, se jette dans une rivière formant une grande galerie souterraine.

Quinze années d’explorations et de relevés topographiques permettent d’aboutir au plan actuel du réseau du Fond de la Souche : 2 500 mètres de galeries sont accessibles à l’Homme mais s’achèvent à chaque extrémité sur un siphon, conduit entièrement noyé, d’accès difficile et fastidieux avec un équipement de plongée souterraine conséquent. Bien que plusieurs campagnes de plongée aient eu lieu pour percer les mystères de ces deux conduits noyés, aucune nouvelle galerie non ennoyée n’a pu être atteinte.

D’un point de vue hydrologique, les diverses observations semblent montrer que la rivière de la grande galerie n’est pas l’Aroffe mais plutôt l’un de ses affluents. L’Aroffe circule-t-elle à proximité ou dans un tout autre secteur ? Quelle est son ampleur ? En l’état, le Fond de la Souche étant le seul regard pénétrable, cette cavité reste le meilleur site pour rechercher l’Aroffe souterraine.

Quarante ans plus tard, ces questions subsistent, mais les techniques évoluent ! Les spéléologues de l’Union Spéléologique de l’Agglomération Nancéienne et les géologues d’UniLaSalle se sont récemment réunis pour expérimenter une technique de surface non destructive afin de poursuivre cette exploration.

Comment détecter des galeries souterraines sans détruire les paysages et les écosystèmes ?

Bien souvent, pour atteindre directement une ressource qui se trouve dans les profondeurs des sous-sols (eau, minerai, gaz…), les géologues font soit des trous à l’aide de foreuses, soit des entailles dans les montagnes à l’aide d’immenses pelleteuses. Ces techniques sont certes efficaces mais présentent l’énorme désavantage de détruire les écosystèmes (habitats faunistiques et floristiques) et les paysages mais aussi de polluer chimiquement les sites exploités. De plus, elles sont extrêmement coûteuses en temps, en énergie et en argent. 

Pour rechercher le tracé souterrain des galeries de la rivière du Fond de la Souche, nous avons choisi de tester une méthode indirecte non destructive. La « tomographie électrique » est une méthode géophysique basée sur la capacité d’un matériau à conduire le courant. À l’inverse de l’air, l’eau très conductrice laisse aisément circuler le courant. La technique consiste donc à mesurer la résistivité électrique des matériaux du sous-sol, en injectant du courant le long d’une ligne d’électrodes plantées dans le sol.

La résistivité électrique du sous-sol dépend de la nature de la roche, la porosité de la roche, la teneur en eau de la roche, la fracturation ou la présence de vides. Afin de valider ou non l’utilisation de cette technique pour la détection de cavités, une campagne de mesures a été organisée en 2021 sur le secteur du Fond de la Souche. Celle-ci s’est déroulée à la fin de la saison estivale, durant laquelle les cavités dépourvues d’eau sont remplies d’air et devraient théoriquement être plus résistives au courant. À partir du plan projeté sur une photo aérienne, plusieurs profils électriques ont été disposés par rapport aux galeries déjà connues et à leurs emplacements supposés.

Deux des profils sont disposés près de la buse d’entrée, perpendiculairement à la fracture de 25 mètres de profondeur. Le premier présente une pénétration de l’électricité dans le sol de 50 mètres (L5), mais une moins bonne résolution que le second, qui n’atteint qu’une profondeur de 10 mètres (L6).

Dans la partie droite du profil L5, à 25 mètres de profondeur, les tâches orangées/rouges caractéristiques illustrent deux zones de « matériel » plus résistif, compatibles avec la possible présence de la cavité du Fond de la Souche.

Sur le second profil électrique (L6), la fracture est détectée au milieu de manière évidente par la tomographie électrique sous forme d’une zone très résistive en marron, ce qui coïncide avec le relevé topographique du puits d’entrée.

La technique de tomographie électrique semble donc prometteuse pour notre recherche de « vides ». Même s’il reste un vaste secteur à prospecter pour identifier en totalité le tracé de la rivière disparue, une prochaine campagne de mesures permettra d’identifier l’orientation des galeries au-delà des siphons. La recherche ne fait que commencer et sera poursuivie l’an prochain.

L’USAN (Union spéléologique de l’agglomération nancéienne) est un club de spéléologie à l’initiative de cette activité de recherche (Christophe Prévot, Olivier Gradot et Théo Prévot) et la finance par l’intermédiaire du Fond d’aide aux actions locales de la Fédération française de spéléologie (FFS). Cette étude exploratoire a bénéficié de l’expertise géophysique de Pascale Lutz et Michaël Goujon, enseignants-chercheurs au sein de l’UniLaSalle Beauvais, mais aussi de leurs étudiants Adrien Leroux, Solène Soyez et Emeline Rame. Participent également des enseignants-chercheurs de l’université de Lorraine (en géologie-paléontologie, Bernard Lathuilière et en géographie-karstologie, Benoît Losson). Nous remercions la mairie d’Harmonville et les propriétaires des parcelles qui soutiennent ce projet et nous donnent des accès illimités à leurs parcelles.

Elise Chenot, Enseignant-chercheur en géologie, UniLaSalle et Christophe Prévot, Professeur de mathématiques, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Ylia Bey
ylia.bey@unilasalle.fr

Téléphone : 0764821580

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