"L'étude de l'évolution des températures des 485 millions d'années vient confirmer [...] que nous vivons actuellement dans une époque anormalement froide malgré l'augmentation très modeste des températures de ces dernières 150 années et que les réchauffements / refroidissements sont des phénomènes communs de l'histoire climatique de la planète", affirment des internautes dans des publications Facebook (1, 2) partagées des milliers de fois depuis début janvier 2025, et illustrées d'un graphique détaillé de la "température sur Terre depuis 485 millions d'années".
Le même visuel avait déjà été partagé fin décembre 2024 dans un message publié sur X par le compte "Association des climato-réalistes", habitué à relayer des propos faux ou trompeurs sur le climat, qui reprenait la même légende mais en affirmant que "la température moyenne globale est de 14°C" (et pas de 24°C).
Tous ces messages incluent, en guise de source, un lien vers une étude anglophone publiée en septembre 2024 dans la prestigieuse revue Science sous le titre "485 millions d'années d'évolution de la température à la surface de la Terre" (lien archivé). Un travail scientifique co-dirigé par Emily Judd (lien archivé), chercheuse en paléoclimatologie (l'étude des climats passés) au musée Smithsonian d'histoire naturelle, et par Jessica Tierney (lien archivé), professeure de paléoclimatologie à l'Université d'Arizona, qui a notamment donné lieu, dans le magazine scientifique Epsiloon, à un résumé de leur travail sous la forme du graphique aujourd'hui repris hors contexte sur les réseaux sociaux.
Les internautes à l'origine de ces publications citent cette étude pour étayer leur argumentaire selon lequel le réchauffement climatique en cours serait loin d'être alarmant, et en sous-texte, non causé par l'homme, car la Terre a connu une série de variations naturelles de température au cours des derniers millions d'années.
Or, le travail scientifique cité dans ces publications pointe au contraire la rapidité du réchauffement anthropique (c'est-à-dire d'origine humaine) en cours sur la planète.
Il est donc trompeur de se baser sur cette étude pour remettre en cause cette réalité scientifique, comme l'a expliqué le 13 janvier 2025 à l'AFP l'une de ses co-directrices, Jessica Tierney : "Dans le contexte des 500 derniers millions d'années, l'époque actuelle est relativement froide, mais pas anormalement froide. Toutefois, cela ne signifie pas que le réchauffement actuel, causé par l'homme, ne constitue pas un problème. Le problème, c'est la rapidité avec laquelle le réchauffement se produit. Il est si rapide que les humains et les autres formes de vie avec lesquelles nous partageons cette planète ne peuvent pas s'y adapter."
Interrogé par l'AFP le 6 janvier 2025, Gilles Delaygue, enseignant-chercheur à l’Université Grenoble-Alpes et spécialiste de la reconstitution des climats, indiquait lui aussi : "Le problème du réchauffement actuel est sa vitesse, très supérieure aux capacités d’adaptation des organismes vivants. Cette étude citée de Science s’intéresse à des échelles de temps supérieures au million d’années, pas du tout pertinentes pour le réchauffement en cours. Le commentaire [des publications Facebook mentionne] '[une époque] froide malgré l'augmentation très modeste des températures' : c'est vrai, mais on ne peut pas en conclure que cette augmentation 'très modeste' n'a pas d'impacts importants."
Une période froide rare mais pas inédite
Comme le précise le descriptif de cette étude, celle-ci vise à comprendre comment la "température moyenne mondiale de surface a varié au cours du dernier demi-milliard d'années", en se focalisant spécifiquement sur l'une des quatre grandes périodes géologiques de l'histoire de la Terre, celle du Phanérozoïque.
Ainsi que le détaille l'Encyclopædia Universalis (lien archivé), elle regroupe celles "du Paléozoïque, Mésozoïque et Cénozoïque" et sa "limite inférieure à 543 millions d'années (Ma) [avant aujourd'hui, NDLR] consiste en l'apparition et en la prolifération d'êtres vivants possédant un squelette interne ou externe susceptible d'être fossilisé."
C'est au cours de cette période géologique que "la vie s'est diversifiée, a peuplé la surface et subi de multiples extinctions de masse", pointe le communiqué de presse (lien archivé) de l'université d'Arizona consacré à l'étude de septembre 2024.
La courbe de température au coeur de l'étude, qui a été réalisée en combinant les données géologiques connues et des modèles climatiques, selon une méthode habituellement utilisée pour réaliser des prévisions météorologiques, permet de constater que la température moyenne mondiale de surface de la Terre a connu de nombreuses variations au cours de cette longue période, allant de 11 à 36°C.
On retrouve ces données sur le graphique réalisé par Epsiloon, qui précise en outre : "Les périodes très froides, comme aujourd'hui, sont les plus rares : 13% du temps, soit 63 millions d'années seulement sur les 485 millions, contre 18% pour les très chaudes."
Le réchauffement le plus rapide de l'histoire géologique
Toujours selon le travail scientifique co-réalisé par Jessica Tierney et Emily Judd, l'avancée rapide vers un climat plus chaud s'avère particulièrement dangereuse pour l'espèce humaine, qui a "principalement vécu autour d'une température globale comprise dans une fourchette de -12°C, comparée à l'étendue de températures de 7°C des derniers 485 millions d'années".
"Notre espèce a évolué dans un climat glaciaire, qui ne reflète pas l'essentiel de l'histoire géologique. Nous sommes en train de faire changer le climat d'une façon complètement inadaptée aux humains. La planète a été et peut être plus chaude mais les humains et les animaux ne peuvent pas s'adapter aussi rapidement", a notamment estimé Jessica Tierney dans le communiqué de presse accompagnant l'étude.
"Ces résultats révèlent aussi que la température actuelle globale de 15°C est plus froide que celle qu'elle a connue pendant la majeure partie de l'ère du Phanérozoïque. Mais les émissions de gaz à effet de serre dues au réchauffement climatique d'origine humaine réchauffent actuellement la planète à une vitesse bien plus rapide que les épisodes de réchauffement les plus rapides du Phanérozoïque", pointe toutefois aussi ce document - non mentionné par les internautes citant l'étude.
Sur ce point, Jessica Tierney a précisé à l'AFP que si "l'espèce humaine a évolué dans un climat froid, nous nous trouvons aujourd'hui hors de cette portée, ce qui est très inquiétant".
Elle souligne donc que son étude confirme la vitesse inédite du réchauffement climatique en cours : "[L'augmentation de température des 150 dernières années] n'est pas modeste. Au contraire, l'augmentation actuelle de température, due à l'activité humaine, est plus rapide que toute celle connue dans l'histoire du passé géologique. Cette augmentation est rapide en raison de la quantité massive d'émission de CO2 par l'homme."
Consensus scientifique sur l'origine anthropique du réchauffement climatique actuel
Comme nous l'expliquions dans un article de vérification de juin 2022, sur une publication virale qui soutenait l'absence de lien entre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique, le CO2 est un gaz dit "naturel", comme la vapeur d'eau, qui existait déjà dans l'atmosphère bien avant l'apparition de l'homme sur la planète.
Ce gaz participe également au fonctionnement de notre organisme : "Quand on respire, on inspire de l’oxygène et on relâche du CO2", confirmait le directeur de recherche à l’ENS, expert carbone et climat, Pierre Friedlingstein.
Le CO2 n'est donc pas dangereux en tant que tel, mais lorsque sa concentration dans l'atmosphère est élevée, il contribue au réchauffement de la planète au même titre que le méthane ou le protoxyde d'azote qui sont, eux aussi, des gaz à effet de serre.
Comme nous le détaillions dans un article publié début mai 2023, sous l'effet de l'activité humaine, la quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère a augmenté d'environ 50% depuis le début de l'ère industrielle au 18e siècle, provoquant dans son sillage une intensification de l'effet de serre.
Comme l'AFP l'a indiqué à de multiples reprises, l'origine anthropique du réchauffement climatique actuel fait l'objet d'un consensus scientifique, c’est-à-dire un avis partagé par l'immense majorité des scientifiques sur la base des résultats de milliers d’études sur le sujet.
Les rapports publiés successivement par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sont devenus la référence sur le sujet. Ils font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale en analysant les études publiées. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure aussi que les outils d'étude du climat se perfectionnent.
Le Giec en est à son sixième rapport (août 2021). La publication du seul groupe I (2.400 pages), qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d’emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines".
La Terre s’était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines (page 517 du rapport du groupe I). Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.
Les concentrations de CO2 (lien archivé) - la principale source du réchauffement anthropique - ont atteint des niveaux jamais enregistrés sur Terre au cours des 14 à 16 derniers millions d'années.
Six jeux de données (archivés ici), notamment d'agences gouvernementales, permettent de suivre l'augmentation de la température globale moyenne qui en résulte (lien archivé).
Comme l'avait expliqué à l'AFP en septembre 2024, Bärbel Hönisch (lien archivé), professeur à l'Observatoire Lamont-Doherty de la Terre de l'université Columbia, "aujourd'hui, le CO2 augmente à un rythme qui pourrait bien être plus rapide que jamais dans les archives géologiques". "Ce CO2 contribue à l'effet de serre et réchauffe notre planète", rappelait-il également.
Confusion entre les variations naturelles du climat et les variations anthropiques
Ainsi que nous l'expliquions en outre dans un article d'août 2022, les variations climatiques ont toujours été observées au fil du temps, même il y a des millénaires, avant que l'homme n'apparaisse sur Terre - ce qui amenait des internautes à en déduire que la hausse de la température ne serait pas due aux émissions de CO2 générées par l'homme, mais uniquement à des phénomènes naturels.
Il s'agit d'une confusion entre les variations du climat naturelles et les variations du climat anthropiques.
"Forcément, s’il n’y avait pas d’humains à l’époque, ce n’est pas à cause des humains que le climat a changé : c’est à cause du cycle climatique naturel", expliquait à cette occasion le chercheur Pierre Friedlingstein.
"Sur des millions d’années, le climat a principalement varié en raison du positionnement de la Terre par rapport au soleil, et donc de l’orbite terrestre. Sur des échelles de temps encore plus grandes, ça fait intervenir la tectonique, personne ne met cela en doute. En revanche, depuis 150 ans, les variations climatiques sont dues à l'homme. L'un n'empêche pas l'autre", ajoutait-il.
Les auteurs du rapport du GIEC, également publié sous la forme d'un résumé, sont formels à ce sujet : "L'influence de l'homme sur le système climatique est clairement établie, et ce, sur la base des données concernant l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, le forçage radiatif positif, le réchauffement observé et la compréhension du système climatique."
"Le réchauffement climatique des XXe et XXIe siècle est à 100% dû à l’activité humaine", observait Pierre Friedlingstein, "On n'arrive pas à expliquer l'augmentation de la température sans prendre en compte les gaz à effet de serre, car on sait, grâce à des modèles scientifiques, que la variabilité naturelle du climat ne contribue quasiment pas au réchauffement du siècle dernier."
Auteur(s)
Alexis ORSINI / AFP France
Ce fact-check a été également publié par Factuel - AFP : Gare à l'interprétation trompeuse d'une étude sur l'évolution des températures terrestres sur 485 millions d'années.
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