Le Média Laurence Corroy : « Les jeunes ne sont pas plus perméables aux fake news que les autres générations. »
Interview

Laurence Corroy : « Les jeunes ne sont pas plus perméables aux fake news que les autres générations. »

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Les jeunes sont-ils de plus en plus déconnectés des médias traditionnels et de l'actualité ? La question divise et intrigue. MediaConnect est allé à la rencontre de Laurence Corroy, professeure à l'université de Lorraine en sciences de l’information et de la communication, et spécialiste des pratiques médiatiques chez les jeunes, pour démêler le vrai du faux.

Laurence Corroy : « Les jeunes ne sont pas plus perméables aux fake news que les autres générations. »
Laurence Corroy : « Les jeunes ne sont pas plus perméables aux fake news que les autres générations. »
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 Les jeunes générations sont accusées de ne pas être intéressées par l'actualité. Pourquoi, selon vous ? Cette critique est-elle fondée ?   
 
Il y a plusieurs raisons qui contribuent à cette perception. Tout d'abord, les jeunes n'achètent pas autant de journaux d'actualité que les générations précédentes. Ils sont moins susceptibles d'acheter des magazines ou des journaux nationaux, tels que L'OBS ou Marianne, et sont moins enclins à se tourner vers la presse régionale. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils ne s'intéressent pas à l'actualité.
 
Malheureusement, les gens font souvent un raccourci en considérant que les jeunes qui n'achètent pas de journaux ne s'intéressent pas à l'actualité en général. Cette croyance est souvent renforcée par le fait que les jeunes votent moins que les autres groupes d'âge, ce qui peut être interprété comme un manque d'intérêt pour les questions politiques et sociales. Toutefois, cette conclusion est beaucoup trop simpliste et ne prend pas en compte les différentes manières dont les jeunes peuvent s'engager avec l'actualité, notamment à travers les réseaux sociaux et les plateformes en ligne.

Dans plusieurs de vos articles, vous expliquez que les jeunes ont tendance à être indifférents aux lignes éditoriales des journaux et à leur positionnement politique. N’est-ce pas contradictoire avec le fait que ces jeunes générations sont pourtant caractérisées (notamment) par la puissance de leur engagement, leur militantisme ?  
 
En réalité, les jeunes se mobilisent et s'engagent massivement, mais sur des questions qui leur tiennent particulièrement à cœur, telles que le changement climatique, l'environnement, les relations de genre et les droits humains. Cependant, leur engagement ne se traduit pas toujours par une participation accrue aux processus politiques traditionnels, telles que les élections. Les jeunes ne croient pas nécessairement aux grands rendez-vous démocratiques tous les cinq ans, mais privilégient plutôt des formes d'engagement plus concrètes et directes, telles que les actions de terrain, les campagnes en ligne et l'occupation de l'espace public.
  
Vous dites vouloir démystifier les idées reçues sur les jeunes, à propos de leur rapport aux réseaux sociaux, à l’information, ou encore sur leur vie privée. Quelles sont ces idées reçues ? Et pourquoi tous ces préjugés autour de la jeune génération, selon vous ? 
 
Il convient de distinguer les stéréotypes sur cette nouvelle génération de ceux sur la jeunesse en général. Depuis l'Antiquité, on explique que la nouvelle génération a de mauvaises manières, est inculte, etc. De manière générale, la génération établie a du mal à faire de la place et à considérer que la génération montante peut être tout aussi compétente, voire meilleure. Il y a une méfiance envers la jeunesse qui existe depuis qu'il y a des traces pour la repérer, les gens écrivent que la prochaine génération est moins bien que la leur. 

Ceux qui sont le moins armés contre les fausses informations sont les seniors. Les adultes se sentent investis d'un devoir de protection et d’éducation de la jeune génération. Il y a donc beaucoup d'efforts pour sensibiliser les élèves à la prise de distance critique par rapport aux médias et aux phénomènes de fausses informations. De ce fait, les jeunes repèrent plus facilement les fausses informations en général. Cela ne les empêche pas de croire en des théories du complot ou des fausses informations, mais en nombre, ils ne sont pas plus nombreux que les autres générations. Les jeunes ne sont pas plus perméables aux fakes news que les autres générations. L'éducation aux médias et à l'information est un enjeu de société pour toutes les générations.

Dans une récente étude de l’IFOP (jan. 2023) pour la fondation Jean Jaurès, sur la « mésinformation des jeunes (…) à l’heure des réseaux sociaux », 44 % des jeunes interrogés pour qui « En Ukraine, le massacre de civils à Boutcha était une mise en scène des autorités ukrainiennes », utilisent Tik Tok comme moteur de recherche au quotidien. Qu’en pensez-vous ? Y a –t-il un lien entre leur usage du réseau social et leur rapport à la vérité ? 
 
On ne sait pas s'il y a un lien de causalité entre les deux. Si un individu préfère s'informer sur Tik Tok plutôt que par des canaux d'information traditionnels, ce n'est pas le réseau social qui est remis en question, mais plutôt la manière dont cette personne perçoit ses sources et les comprend. Cependant, les écrans et les réseaux ont tendance à gommer les différences entre les sources, alors que toutes les sources ne se valent pas. Ce qui est véhiculé sur Tik Tok n'a pas la même valeur qu'une information transmise par des sources fiables. Un effort doit être fait pour rappeler aux jeunes que de nombreuses informations qui circulent sur les réseaux sociaux ne sont pas fiables. C'est comme si l'on disait que Wikipédia est l'équivalent d'une encyclopédie, alors que le récit de la vérité peut différer. 

Dans un de vos articles intitulé « Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ? », vous dites que « les grands journaux fonctionnent de manière globale comme des « marques » de référence. ».  Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que cela traduit des jeunes générations ? 
 
Les grands journaux sont perçus comme des marques, c'est-à-dire comme des symboles de qualité et de référence dans le domaine de l'information. Cela montre que les jeunes consomment l'information de manière directe sur leur téléphone, par exemple, lorsqu'ils souhaitent connaître les propos tenus par Emmanuel Macron lors de son allocution du 17 avril dernier, ils vont droit au but chercher l’information sur un journal sans tenir forcément compte de sa ligne éditoriale. Ils sont moins attachés aux lignes éditoriales des médias et sont souvent confrontés à des difficultés pour les positionner sur l'échiquier politique. 
 
Au regard des habitudes de consommation d’information des plus jeunes générations, diriez-vous que le déclin de la presse classique, en physique, est inéluctable ?  
 
La presse écrite est en grande difficulté auprès des jeunes, qui ne la lisent que rarement, sauf si leurs parents ont pris l'habitude de s'abonner. En revanche, les grands journaux, qui fonctionnent comme des marques de référence pour un tiers, ont encore un certain attrait. Quant aux médias visuels, bien que les jeunes ne soient pas intéressés par la presse télévisée, ils regardent toujours les chaînes d'information. Cependant, la télévision en direct doit se réinventer pour rester pertinente, et les offres de replay montrent que les chaînes ont commencé à s'adapter.


Propos recueillis par Randa El Fekih

  

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