Les scientifiques et experts du GIEC sont formels : les entreprises doivent limiter leur recours aux énergies fossiles si nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. De la biomasse à l’hydrogène vert, les grandes, moyennes et petites entreprises sont lancées dans la course aux énergies renouvelables.
Mais il reste bien souvent un angle mort pour atteindre cette neutralité carbone : celui de la sobriété numérique. Et quand il s’agit de communication digitale et de relations presse, on s’imagine mal une agence de RP remplacer ses mails par des enveloppes papier. Pourtant l’Agence de la transition écologique (ADEME) est formelle : le numérique est responsable de 3,5% des émissions de CO2. Et ce chiffre pourrait doubler d’ici 2025.
Quand on sait qu’un journaliste peut recevoir jusqu’à 60 communiqués de presse dans sa boîte mail par jour, il semble judicieux de s’interroger sur l’impact des campagnes d’e-mailing sur l’environnement.
“Le stockage est la phase la moins polluante des communications électroniques”
Alors, quelle est l’empreinte carbone d’un email ? Vous avez peut-être vu passer cette comparaison, qui provient d’une étude de l’ADEME : “les mails envoyés dans une entreprise de 100 salariés pendant un an représentent l'équivalent CO2 de 13 allers-retours Paris-New York” illustre le journal Les Echos, dans un article publié le 7 mai 2019. L’action apparemment inoffensive d’envoyer un mail ou un communiqué de presse semble donc plus problématique qu’il n’y paraît.
Pourtant, l’impact environnemental du mail sur le climat fait débat. Pour Pierre Beyssac, ingénieur en informatique et fondateur d’une entreprise dans le domaine du numérique, les chiffres sur lesquels se basent la comparaison avec un vol outre-Atlantique sont erronés. “L’étude de l’ADEME de l’époque supposait que le poids du mail était essentiellement dû à la consommation électrique du PC sur lequel on le consulte. Ils ont fait des erreurs de méthodologie. Pourtant les chiffres continuent de circuler”, alerte-t-il.
Selon cet expert, l’empreinte carbone d’un mail est relativement faible, “pour une entreprise c’est l’équivalent de la consommation annuelle d’un ou deux frigidaires” précise Pierre Beyssac. Selon Clarisse Popower, fondatrice de Green Makers, cabinet de conseil en responsabilité numérique qui accompagne notamment les professionnels du marketing et de la communication digitale, pour comprendre l’impact réel d’un communiqué de presse digital sur l’environnement, il est nécessaire de l’envisager sous la forme d’un cycle de vie. Pour l'envoi d’un mail, il existe des phases plus ou moins polluantes.
“L’écriture d’un email est la tâche la plus polluante car on va le rédiger sur un ordinateur qu’il a fallu fabriquer et qui est gourmand en énergie”, indique-t-elle. Vient dans un deuxième temps le transport des données qui correspond à l’énergie utilisée pour acheminer le mail vers le destinataire. “Il faut voir cela comme une impulsion électrique qui parcourt d’immenses câbles sous-marins. Un mail peut parcourir jusqu’à 15 000 kilomètres”, précise Clarisse Popower. Sur la troisième place du podium, on trouve la lecture du mail et en dernière position, le fameux stockage. “Un mythe doit être brisé, le stockage est la phase la moins polluante des communications électroniques”, ajoute-t-elle.
Ce “mythe” du stockage polluant est incarné par les fameux data centers, ces centres de données qui permettent la sécurisation, la gestion et le partage des données stockées. Selon la plateforme Greenly, les data centers émettent 2% des gaz à effet de serre mondiaux, en France cela grimpe même à 14%. En cause : des installations gourmandes en énergies et la mobilisation de ressources non renouvelables comme le cobalt. Néanmoins, pour Stéphane Bortzmeyer, informaticien et spécialiste des réseaux informatiques, “comptabiliser la consommation des data centers n’a pas de sens. Avant, ce processus était intégré aux entreprises. Est-ce que c’était mieux ? Probablement pas. Les data centers permettent d’optimiser ce procédé.” Un avis que partage Pierre Beyssac : “c’est un gain d’efficacité par rapport à ce que l’on faisait précédemment. Cela évite aussi de tirer des fils.”
Quelques outils pour une campagne RP plus sobre
Même si nos experts sont d’accord sur le fait qu’il ne faut pas diaboliser l’envoi de CP, il existe toutefois certaines pratiques pour mettre en place une campagne de relations presse digitale plus sobre numériquement. Clarisse Popower rappelle qu’il est possible d’agir sur quatre dimensions :
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les différents formats contenus à l’intérieur du communiqué de presse. Plus une pièce-jointe est lourde, plus l’impact environnemental du mail sera important. C’est pareil pour les vidéos contenues dans un CP : “plus la durée de visionnage est longue, plus le poids du mail augmente”, souligne-t-elle.
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le type de réseau utilisé pour rédiger et lire le mail. “Les réseaux mobiles consomment cinq fois plus que les réseaux wifi”, rappelle Clarisse Popower.
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l’appareil utilisé pour rédiger et lire le communiqué de presse : un smartphone sera moins polluant qu’un ordinateur
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le nombre de destinataires
A titre d’exemple, “un mail court sans pièce jointe (10 Ko) rédigé et lu sur smartphone avec une connexion 4G, à 1 destinataire, c’est 0,4 gCO2e”, tandis qu’un mail court “sans pièce jointe (10 Ko) rédigé sur ordinateur avec une connexion Wi-Fi à 10 destinataires, c’est 4,9 gCO2e”, nous apprend le site Sami.
Pierre Beyssac précise que les systèmes de suivi comme le tracking de l’envoi d’un communiqué de presse sont généralement assez gourmands et conseille donc de s’en passer si c’est possible. Et l’ingénieur informatique d’ajouter : “il y a une démarche intéressante qui n’a pas d’effet énergétique direct mais peut permettre d’économiser du matériel, c’est l’éco-conception. En faisant un mail qui n’est pas lourd avec une résolution d’image peu élevée que l’on peut lire sur de vieux téléphones ou de vieux PC, cela évite de pousser les gens à changer de matériel ou de téléphone tous les deux ans !”. De l’émetteur au récepteur en passant par le stockage, il y a donc encore pas mal de pain sur la planche numérique pour parvenir à des envois moins gourmands en énergie.
Benjamin Bruel