Le Média Nourdine Cherkaoui (Havas) : « En “media training”, pas besoin d'être une Rolls-Royce de la prise de parole. »
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Nourdine Cherkaoui (Havas) : « En “media training”, pas besoin d'être une Rolls-Royce de la prise de parole. »

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Formation prisée des dirigeants, le « media training » consiste à maitriser sa parole publiquement, dans un contexte médiatique. Réalisée en toute discrétion, la pratique suscite une certaine curiosité. Nourdine Cherkaoui, a accepté de lever une partie du voile pour MediaConnect. Recruté chez Havas par Jacques Séguéla et Stéphane Fouks, ce spécialiste de la communication est le fondateur de l’offre « Havas Coaching & Messages », lancée en 2002. Depuis, cet ancien lieutenant de Jacques Chirac, a formé plus de 6 000 clients pour le compte du géant de la communication. 

Nourdine Cherkaoui (Havas) : « En “media training”, pas besoin d'être une Rolls-Royce de la prise de parole. »
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En quoi consiste concrètement le « media training » chez Havas ?  

 
Tout d’abord, nous effectuons un travail en amont avec la direction de la communication de l’entreprise pour identifier précisément les besoins. Qu’il s’agisse d’une annonce, d’un plan de restructuration, ou d’un lancement de nouveaux produits, tout commence par un travail de fond sur le message que la personne coachée souhaite délivrer. 
 
La forme arrive dans un second temps. Plus le client maîtrisera son message, plus celle-ci s’améliorera. Nous la travaillons ensemble pour qu’elle s’adapte au format, car vous ne vous exprimez évidemment pas de la même façon en presse écrite qu’à la radio. C’est ainsi que les clients s’entraînent à de fausses interviews, à des prises de parole en public, ou passent par notre amphithéâtre pour travailler leur gestuelle, leur montée sur scène et leur capacité à jouer avec le public. Toutes ces sessions sont enregistrées, puis débriefées avec le client. Cette mise en pratique immédiate leur permet de confronter leur message à un public. Et chez Havas, chacune de ces séances de « media training » dure 2 heures et demie.  
 
Pour nous épauler, nous travaillons parfois avec des journalistes. Certains de nos clients tiennent à ce qu’il s’agisse d’une personnalité télé ou radio. Cela les rassure, et les met concrètement en situation. Un peu comme une confrontation entre un matador et un taureau. Bien entendu, tout ce qui se dit entre ses murs, lors des séances, reste ici. La confiance est primordiale. Nous avons une charte éthique. Nous sommes d'ailleurs les seuls à en avoir une dans le groupe. 
 
 

Quels sont les profils de vos clients ?  

 
Depuis 2002, date de lancement de l’offre « Formation Havas Coaching & Messages », j’ai ainsi formé plus de 6 000 personnes. Des clients issus de secteurs très variés. Certains étaient en provenance du monde agricole, d’autres de l'industrie, ou des services. Parmi eux, j’ai ainsi formé de nombreux chefs d’entreprises, à la tête de TPE/PME ou de sociétés cotées du CAC 40 et du SBF 120. Sans oublier tous ces chefs d’Etat et de gouvernement, dont j’ai également croisé la route. Au global, je dirais qu’ils sont plus de 95% à venir du monde de l’entreprise. Et 20% des dirigeants formés, sont des femmes. Un chiffre en très nette progression.  
 
Sur le plan humain, j'ai formé des personnes qui étaient autodidactes, bègues, dyslexiques ou victimes de troubles de l’attention. Certaines personnes sont effectivement plus douées que d’autres. Cela étant, tout le monde n'a pas besoin d'être une Rolls-Royce ou une Ferrari de la prise de parole. L’important reste de bien définir son objectif au départ. Aujourd'hui, les directions des communications donnent des éléments de langage, les fameux « EDL ». Seulement, ces dernières font parfois fi de la personnalité du locuteur, de sa technique. Or, le message à délivrer n’est pas qu’une simple idée : il est fondamental d’adapter celle-ci au messager. 
 
 

Quels sont les objectifs des personnes qui vous sollicitent ?  

 
C’est souvent de savoir s'exprimer sur un temps court, et d’être le plus clair possible mais les objectifs varient d’un profil à l’autre, car un président d’ONG n’aura pas nécessairement les mêmes enjeux qu’un chef d’entreprise. J’ajoute que souvent, des dirigeants du secteur privé cherchent à laisser une trace de leur intervention. Car à la différence des hommes et femmes politiques par exemple, ils ne sont pas régulièrement dans les médias. Raison pour laquelle chacune de leur prise de parole médiatique se doit d’être pertinente et marquer les esprits.  
 
 

Le 16 mars 2023, vous avez été interviewé par Elise Lucet, à l’occasion des 10 ans de Cash Investigation. Est-il vrai que chez Havas, vous avez monté un module spécifique pour préparer vos clients aux questions réputées pugnaces de la journaliste ? 

 
12 de nos clients ont été déjà été interviewés par Elise Lucet. Mais non, nous n’avons pas de formation spéciale Cash Investigation. En revanche, toutes les interviews ne se valent pas. Il y a logiquement une graduation dans l'exercice. Comme au judo, une interview du niveau “ceinture blanche” ne demande pas le même effort que celle niveau ceinture verte, bleue ou noire. Et disons que les interviews de Cash Investigation sont du niveau ceinture noire, troisième dan... Donc dans ce cas très précis, nous nous adaptons et proposons un dispositif plus conséquent pour nos clients. De plus, nous avons exigé à Elise Lucet la possibilité d’enregistrer nous aussi l’entretien qu’elle fait de nos clients. Ce qui permet ainsi d’éviter toute distorsion entre ce qu'a dit la personne interviewée et la version montée puis diffusée. 
 
 

Comment mesurez-vous l’efficience de vos formations ?  

 
Déjà, entre le moment ou la personne arrive et repart de notre salle de formation, il faut qu'elle ait progressé et le sentiment d'avoir progressé. Et dans l’absolu, je dirais qu’il y a deux façons de mesurer les résultats : l’une est « scientifique », l’autre est dirons-nous « au doigt mouillé ». La première se mesure de manière concrète, objectivable : ce sont les revues de presse ou les réactions exprimées sur les réseaux sociaux, à la suite d’une intervention. La seconde se mesure tout simplement lorsque le client revient. 
 
 

Combien coûte une formation de « mediatraining » chez vous ?  

 
Le prix médian est de 2500 euros pour une séance de deux heures et demie. J’insiste sur le médian car j’ajuste les tarifs en fonction du profil des clients, notamment avec les ONG et les start-ups. 
 
 

Quel est le profil de vos formateurs ?  

 
La première qualité indispensable est la bienveillance, car face à nous, nos clients sont des femmes et des hommes qui se mettent à nu. Nous ne sommes pas leurs mentors, mais nous sommes là pour les tenir par la main et les aider à monter à la tribune. Ces qualités ne sont pas si courantes, car de nombreuses personnes sont animées par l’envie de s'imposer. Nous prenons donc le temps de dénicher des profils capables de se mettre au service de l’autre. Si vous avez en vous cette irrésistible envie d’intervenir à la place du client, votre place n’est pas chez nous, vous n’avez qu'à devenir PDG ou politique.   
 
 

Qu’en est-il de vous ? Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être formateur ? 

 
Rien ne me prédestinait à être coach. A la fin des années 1990, au bout de trois ans chez Havas en tant que consultant classique, je suis allé voir Stéphane Fouks pour lui dire que je m’ennuyais et que je trouvais cela dommage de ne pas avoir de lien personnel avec les dirigeants. Car souvent, dans les plans de communication, l’interlocuteur habituel est le directeur de communication. Or, les séances de media training, vous offrent la possibilité de créer une intimité avec le dirigeant, donc une relation particulière avec l'agence. Cela vous permet également de bien comprendre la mécanique de l’entreprise conseillée, via le dirigeant lui-même, et non pas traduit par le directeur de communication. 
 
Aujourd’hui, ce qui m’aide au quotidien, c’est tout simplement ma curiosité. Ce qui est indispensable dans notre métier, car d’une semaine à l’autre, mes clients peuvent être les représentants d’une banque, d’un organisme médical, ou d’une entreprise de la tech. 
 
 

Qu'est-ce qui fait de vous un bon « media trainer », selon vous ? 

 
Avant d’être recruté chez Havas en 1998, par Jacques Séguéla et Stéphane Fouks, j'ai travaillé une quinzaine d’années pour Jacques Chirac dont deux ans en tant que secrétaire national du RPR, jusqu’à la dissolution de 1997. Durant ces années politiques, nous avions tous, avec notamment François Baroin et Jean-François Copé, été formés à la prise de parole face aux médias, avec des méthodes américaines. Ce qui était très nouveau à l'époque.  
 
Quand je suis arrivé dans le monde de l'entreprise, j'ai donc été frappé de constater à quel point les hommes et femmes politiques étaient mieux formés à la prise de parole que les chefs d'entreprise. Aujourd’hui, je dirais que les choses se sont inversées : les entreprises font l'effort de former leur porte-parole afin de définir l'intérêt d'un produit, d’une posture financière, d’un plan social, ou d’une crise. C’est désormais la norme d'être formé à la prise de parole, que ce soit face aux médias, aux politiques, ou à en interne.  
 
Ma priorité est de bien cerner la personne dès les dix premières minutes. La question que je me pose est systématiquement la suivante : qui ai-je en face de moi ? Un mouton, un renard, ou un loup ? Un mouton veut bien faire. Il va essayer de vous suivre et de vous satisfaire en appliquant les méthodes que vous lui proposez. Le renard lui, ne joue pas le jeu du « media training » avec vous. Il faut alors se demander pourquoi : est-ce dû par exemple à une remise en cause du statut du formateur ? C'était souvent le cas, lorsque j'ai commencé à faire du « media training ». J’avais un peu de mal à m'imposer. Mais c’est plus facile depuis que j’ai des cheveux blancs ! Et puis enfin, le loup, c'est plutôt le profil du mâle ou de la femelle alpha qu'il faut réussir à convaincre du bien-fondé de la méthode que vous lui proposez.  
 
 

Et vous, quel type d’animal êtes-vous ? Un mouton, un renard, ou un loup ?

  
Moi ? Je suis un pitbull ! 

  

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