Le Média Romain Dessal (TTSO) : « Incontestablement, il y a une renaissance de la newsletter. »
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Romain Dessal (TTSO) : « Incontestablement, il y a une renaissance de la newsletter. »

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Romain Dessal (TTSO) : « Incontestablement, il y a une renaissance de la newsletter. »
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Elles ont retrouvé leurs lettres de noblesse. Les newsletters d'actualité rencontrent un véritable succès et s'imposent comme un canal privilégié de diffusion d'informations. Comment expliquer l’enthousiasme pour ce format ? Entretien avec Romain Dessal, fondateur de la newsletter Time To Sign Off.
 
Vous avez lancé en 2011 la newsletter Time To Sign Off – TTSO pour les fidèles. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
 
Time To Sign Off est une newsletter d’actualité générale gratuite distribuée tous les jours, du lundi au vendredi, à 18h15. Elle résume l’actualité en six sujets courts, informatifs, centrés sur les faits et les chiffres et avec un ton légèrement ironique. Le constat est le suivant : pendant leur journée de travail, les gens se coupent des médias d’information, notamment l’après-midi. L’idée de Time To Sign Off est d’intervenir le soir comme une voiture-balai de l’information pour permettre, en quelques minutes, de se reconnecter avec l’actualité. Le soir, la vie n’est plus dominée par le cadre professionnel mais par un aspect plus social, que ce soit à la table familiale ou à un dîner en ville avec des amis. Les conversations sont alors très largement à base de commentaires de l’actualité. Ainsi, on a besoin d’être au fait des dernières informations. C’est exactement ce que propose Time To Sign Off. Cette newsletter permet de reconnecter à bon niveau, de façon très informative et en très peu de temps avec l‘actualité. Sans compter évidemment sur un plaisir de lecture qui tient au ton ironique, caractéristique de TTSO, qui plait manifestement si on en juge par notre développement et le taux d’ouverture. On a commencé il y a 10 ans. Aujourd’hui, on compte 160 000 abonnés, et 120 000 personnes nous lisent tous les soirs.
 
Comment est née la newsletter Time To Sign Off ?
 
Au départ, TTSO est une idée très marketing. Nous voulions répondre à un besoin qui nous semblait non-satisfait, celui de reconnecter facilement avec l’information. D’abord lancée à New-York, la newsletter s’est ensuite développée en France. Elle est construite sur l’idée de fear of missing out, la peur de rater quelque chose, qui s’applique à l’actualité. On s’est alors demandé quelle solution apporter à ce besoin identifié. Notre newsletter est une réponse, en agissant comme voiture-balai de l’information. Le secret de la réussite de TTSO, c’est que l’objet n’est absolument pas marketing. Elle est écrite tous les soirs de façon extrêmement sincère, sans aucune volonté de répondre à un besoin ou de se conformer à un desiderata. Cette sincérité se retrouve dans les choix éditoriaux mais aussi dans le ton - un ton d’ailleurs qui fait mouche et explique notre succès.
 
Vous parlez de « choix éditoriaux ». Chaque jour, la newsletter Time To Sign Off propose un résumé de six sujets qui font l’actualité. Cela implique de digérer beaucoup de contenus chaque jour. Comment choisissez-vous les sujets que vous traitez ?
 
Notre équipe se compose de cinq personnes. Tout au long de la journée, on garde un œil sur le flot d’informations. Pour faire cette veille, on utilise notamment Twitter, qui fonctionne comme un fil d’actualité plutôt efficace. Nos multiples abonnements sur ce réseau social nous permettent d’avoir une bonne vision de l’actualité française et internationale. Ensuite, on détermine les sujets qui nous semblent les plus importants. Se pose alors la question de l’angle. L’enjeu est le suivant : comment angler les sujets de manière à ce qu’à 18h15, quand la newsletter paraîtra, on ait quelque chose à apporter aux lecteurs qui ne soit pas quelque chose qu’ils aient déjà vu et qui soit passé par les multiples cycles d’essorage de l’information ? En effet, à 19h, l’information a beaucoup tourné. Les cycles de l’information s’épuisent beaucoup pendant la journée et se renouvellent finalement assez peu, mis à part des événements qui interviendraient dans la journée de façon non-modélisable – mais ils sont assez rares. Pour nous, qui sommes un journal du soir, c’est très important de rester frais, au moins sur les angles, sur les contrepoids apportés, sur les chiffres mis en exergue. Notre travail est de produire un contenu qui n’ait pas été lu 100 fois quand on le livre à nos lecteurs.
 
Par ailleurs, il est vrai que nous avons des goûts personnels, mais comme chaque média. Nous suivons certains sujets plus que d’autres. Par exemple, on s’intéresse beaucoup à la macro-économie ou à la politique internationale. De plus, tous les jours, nous consacrons notre dernier sujet à l’actualité de l’érotisme ou du sexe. Il s’agit d’un trait de caractère personnel de notre média qui, sans doute, nous distingue aussi un peu.
 
Vous parliez du FOMO – le fear of missing out. La newsletter est-elle un outil pour lutter contre la surcharge informationnelle ?
 
Oui, évidemment. Aujourd’hui, l’univers de l’information est extraordinairement bavard et extraordinairement surinvesti. C’est le buzzword : l’infobésité. Ce problème de surcharge informationnelle, TTSO le résout en faisant du tri et du ton. Dans le fatras d’informations que vous recevez sous de multiples formes et dévale sur vous toute la journée, le premier niveau de valeur de notre newsletter est de présenter cinq ou six sujets qui nous semblent être importants et font l’actualité du jour. Ce premier niveau de valeur est donc un niveau de tri et consiste à remettre de l’ordre et de la hiérarchie dans l’information. A cela s’ajoute un second niveau : le ton. Le ton ironique de Time To Sign Off est finalement la patte d’auteur et le style dans lequel les lecteurs se retrouvent.
 
On entend beaucoup parler du grand retour de la newsletter. Avait-elle vraiment disparu ?
 
Oui, je crois que c’est incontestable. Le grand retour de la newsletter, en plus d’être très bien documenté, est une tendance avérée depuis une quinzaine d’années. Il ne s’agit pas du scoop de la journée. Il y a une quinzaine d’années, avant de renaitre de ses cendres, la newsletter était devenue du spam. Elle était considérée comme un objet commercial auquel on ne savait pas pourquoi on était abonné, qu’on n’ouvrait jamais et qui encombraient nos inbox. Les perceptions ont beaucoup changé. L’inflation des e-mails a fait que les messageries se sont beaucoup protégées. Gmail par exemple, l’un des services de messagerie majeurs, fait un tri préalable très efficace pour les utilisateurs. Ainsi, les newsletters qui émergent sont des newsletters vertueuses par essence, c’est-à-dire des newsletters qui reposent sur une promesse éditoriale très claire, qui sont choisies par les gens qui les lisent, dont les bases de données sont bien entretenues et desquelles on peut se désabonner. Incontestablement, il y a une renaissance de la newsletter. La tendance est bien établie… et très galvaudée. Personnellement, je suis extrêmement content de l’objet que nous avons créé et je pense que le format newsletter correspond parfaitement à TTSO et remplit un office que nos chiffres nous font constater de façon indéniable. En revanche, je suis moins convaincu quand j’entends deux fois sur trois les gens dire qu’ils vont s’en sortir en créant une newsletter – quelles que soient leurs ambitions, éditoriales ou plus marketing. Je crois qu’on est un peu dans le domaine de la tarte à la crème.
 
Aujourd’hui, différentes typologies de contenus existent : le podcast, la vidéo... Quelle est la valeur ajoutée de la newsletter par rapport à d’autres formats ?
 
La newsletter est avant tout un plaisir de lecture. Ce n’est pas un modèle mécanisable ou industrialisable. In fine, la newsletter est un modèle artisanal, d’auteur presque. Bien sûr, il y a des plaisirs d’écoute, on fait d’ailleurs des podcasts nous aussi. Dans la vidéo, des projets formidables ont été développés. Je vois bien tout ça. Mais il est évident qu’aujourd’hui, il y a toujours une place pour un média écrit qui donne du plaisir de lecture à ses abonnés. Une place qui existe de façon tout à fait transgénérationnelle : la newsletter ne se réserve pas aux personnes de plus de 50 ans, peut-être plus habituées à l’objet écrit, mais existe aussi pour des personnes beaucoup plus jeunes. Notre lecteur moyen a environ 35 ans, preuve que ce format ne se réduit pas à une catégorisation des lecteurs, qui opposerait les générations de l’écrit aux générations de l’audiovisuel.
 
Finalement, quels sont les éléments indispensables pour une newsletter réussie ?
 
Ma conviction fondamentale, c’est qu’il n’y a aucune règle de format. Il y a absolument une seule et unique vérité en matière d’attention des lecteurs : faire des contenus de qualité. Les lecteurs ne vous ouvriront pas pour votre format, ni pour vos promesses marketing ou pour quoi que ce soit de cyniquement formaté – ce n’est pas un jugement de valeur. Les lecteurs vous ouvriront parce que vous êtes de grande qualité. Ce que je dis est un enfonçage de portes ouvertes, mais néanmoins, c’est la seule vérité. L’unique juge de paix est de rester frais, sincère, inimitable et de s’astreindre à l’absolu impératif de qualité tous les soirs. La voici la clé.
 
Propos recueillis par Emma Alcaraz.