Le Média Simon Ruben (CFPJ) : « Pour de bonnes relations presse, il faut penser comme un journaliste. »
Interview

Simon Ruben (CFPJ) : « Pour de bonnes relations presse, il faut penser comme un journaliste. »

Bonnes pratiques Media

Comment les journalistes décident-ils des sujets qu’ils vont traiter ? Quels sont les facteurs qui influencent leurs décisions ? Pour éclairer ces questions, MediaConnect est allé interroger Simon Ruben, ancien journaliste à Europe 1 et RTL, actuellement responsable de l’offre au CFPJ (Centre de formation et de perfectionnement des journalistes).

Simon Ruben (CFPJ) : « Pour de bonnes relations presse, il faut penser comme un journaliste. »
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Quelles sont les étapes à effectuer avant de choisir de traiter un sujet ? 

D'abord, il est essentiel de considérer le média pour lequel je travaille. C'est une base, car il se peut que certains sujets qui m'intéressent ne soient pas abordés par mon média. Ensuite, selon moi, il faut déterminer si le sujet a du sens et s'il dépasse le cadre strict de son domaine. Prenons l'exemple d'un événement sportif : est-ce simplement un événement sportif ou bien va-t-il au-delà ? Est-ce qu'il peut avoir un impact et intéresser des personnes qui n’aiment pas le sport ? Est-ce qu'à travers, je vais pouvoir parler d'économie, de politique, d'égalité, de sexisme, de racisme ? Il y a aussi des actualités brutes : quand un incident s'est produit, nous devons en parler. Un élément important dans la décision de traiter une information ou non, est aussi de réfléchir à ce qu’elle révèle sur le monde actuel, les changements et les questionnements que l’information soulève. Pour moi, c’est un élément clé, peut-être même le plus important.
 
Dans quelle mesure les rédactions orientent-elles le processus de fabrique de l’information ? 
 
Tout dépend de l'origine du sujet. Si c’est le rédacteur en chef qui en a eu l'idée, alors il sera assez dirigiste. Il s'adressera au journaliste en lui indiquant un angle intéressant, peut-être en se basant sur quelque chose qu'il a déjà vu ou sur une idée pertinente. Dans ce cas, le journaliste suit le parcours indiqué. En revanche, si c’est une idée originale du journaliste, c'est une tout autre histoire. Le journaliste est aux commandes, il décide de l’angle et de ce dont il veut parler. En général, il y a un dialogue entre la rédaction en chef, le média et le journaliste, pour déterminer s'il faudrait plutôt aborder tel ou tel aspect. C'est cet échange qui se déroule tout au long de la journée qui permet au fur et à mesure de construire le sujet.
 
Quelles sont les particularités ou contraintes propres à chaque type de média qui peuvent influencer les choix des sujets ? 
 
En radio, il est évidemment difficile de traiter des sujets sans son. Cela peut sembler anodin, mais dans la presse écrite, je peux aborder tous les sujets, même si j'ai des personnes qui souhaitent s'exprimer en “off”, je le mentionne dans mon article. En radio, il m'est souvent arrivé d'avoir des sujets où de nombreuses personnes parlaient en “off”, alors que j’étais censé réaliser une enquête de 2 à 3 minutes. Si je n'ai aucun témoignage sonore et que l'on n'entend que ma voix, cela devient compliqué. A la télévision, si nous n'avons pas d'images, et de préférence de belles images, le sujet sera moins percutant. Il faut que les personnes acceptent de s'exprimer devant une caméra. En revanche, en presse écrite ou sur le web, cette contrainte est un peu moins essentielle, même s'il est toujours important d'avoir des personnes prêtes à parler et à donner leur nom. Il y a une certaine souplesse dans ces médias. 
 
Dans quelle mesure l'actualité joue-t-elle un rôle prépondérant dans la sélection de vos sujets ?
 
Cela dépendra de la ligne éditoriale du média. J'ai travaillé notamment à Europe 1 en radio. À une époque, dans les années 2014-2015, il y avait cette logique pour la matinale radio. Le directeur de l'information d'Europe 1, Fabien Namias, disait que la matinale radio était comme le marché de Rungis, où se trouvent uniquement des produits frais. Donc, si la veille vous aviez préparé 50 sujets et qu'un événement majeur se produit à 3 heures du matin, les 50 sujets vont à la poubelle. Vous appelez un à un vos journalistes, vous les réveillez à 03h00 du matin et vous leur dites : “Il s'est passé ça, on fait des sujets que là-dessus.” L’actualité prend le dessus. Pour les matinales des radios généralistes et les chaînes d'information en continu, c'est l'information qui dicte le rythme.
 
Cela peut être assez perturbant et ça m'est arrivé lors de la Coupe du Monde de football au Brésil. Je faisais mes reportages sur l'équipe de France et j’envoyais mes sujets à la rédaction entre 19 heures et 23 heures. Mais à 23 heures, il se passe quelque chose d'énorme : le Brésil vient de perdre 7-1 contre l'Allemagne. Dans ce cas-là, il faut faire un sujet, donc tout ce que j'ai fait pendant la journée pour le lendemain est annulé et je recommence une nouvelle journée. Il est 23 heures et j'ai 7 à 8 heures de travail pour refaire 23 reportages sur ce qui vient de se passer.
 
Comment gérez-vous l'équilibre entre l'intérêt du public et la nécessité de présenter des actualités importantes, mais moins populaires ? 

C’est un équilibre qui doit être discuté au sein du média, il n'y a pas de règles strictes. Pendant longtemps, à Europe 1, nous nous sommes préoccupés de la manière dont nous impliquions davantage nos auditeurs, comment nous abordions des sujets qui les concernent, comment nous essayions de varier les sujets. Il y a eu un gros travail sur l'angle également. Changer d'angle pour un même sujet, c'est une façon de continuer à en parler sans ennuyer ou lasser l'audience. Et cela dépendra aussi des questions que vous posez en tant que source. Les conséquences peuvent être le “journalisme de solutions”, le journalisme constructif, où l'on se demande comment parler d'un sujet d'actualité essentiel sans plonger notre audience dans la dépression. C'est typiquement le cas de la question climatique. Au CFPJ (Centre de Formation et de perfectionnement des Journalistes), nous avons de nombreuses formations à ce sujet. On se demande comment rendre ces sujets constructifs, comment en parler sans nous alourdir. Pas de façon positive, mais d'une manière un peu plus porteuse, enthousiasmante ou stimulante.
 
Quels rôles les RP peuvent-elles jouer dans la sélection des sujets ?
 
Dans la sélection ? Aucun, puisque nous faisons ce que nous voulons, bien sûr. Cependant, je pense que l'enjeu des relations presse est de mettre en lumière des sujets auxquels les journalistes n'auraient peut-être pas pensé. Il s'agit également de permettre aux journalistes d'accéder à des lieux auxquels ils n'auraient pas normalement accès. En tant que responsable des relations presse d'un grand laboratoire, je pourrais ouvrir les portes du laboratoire à 34 journalistes que j'ai choisis.  Pour de bonnes relations presse, il faut penser comme un journaliste. Il s’agit de se mettre à leur place et se demander : « Qu'est-ce que j'aimerais si j'étais journaliste pour parler de ce sujet ? » Cela peut être l'envie de découvrir les coulisses, d'interviewer certaines personnes … C’est proposer des choses qui vont au-delà d'un simple communiqué de presse. Il s'agit de réfléchir non pas à la nécessité de parler d'un sujet, mais plutôt à la manière dont on peut le présenter pour intéresser les journalistes. Lorsque l'on a la réponse à cette question, on peut généralement mettre en place une bonne stratégie RP.


Propos recueillis par Randa El Fekih

    

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