Du torrent à l’asphyxie lente
Comme s’ils n’étaient plus en mesure d’encaisser. « Les sols sont vivants, ils ont toujours bougé mais le dérèglement climatique entraîne un changement de dynamique dans ces mouvements », explique Catherine Pothier, experte en géologie également membre de la commission des Balmes[1] qui réunit plusieurs spécialistes des risques de mouvements de terrain pour le compte de la ville de Lyon. Vallées décimées, pans de montagne fracturés, fissures dans les maisons, côtes ou falaises grignotées, la vulnérabilité de nos sols, pourtant essentiels à notre subsistance, fait régulièrement la « Une » de l’actualité.Les inondations historiques, survenues dans la vallée de la Vésubie les 2 et 3 octobre 2020, ont particulièrement marqué les esprits et laissé des traces de destruction encore aujourd’hui bien visibles. En cause, 500 millimètres de pluie déversés en moins de 24 heures à certains endroits. La Vésubie, cours d’eau de montagne au débit normalement modéré, s’est transformée en l’espace de quelques heures en un torrent dévastateur emportant ainsi des sols souvent peu profonds, instables et sensibles à l’érosion. A la fin de l’année 2023, les sols du Pas-de-Calais ont eux aussi subit les affres du dérèglement climatique non plus par le fait de torrents ravageurs mais par une asphyxie lente. Il aura ainsi fallu deux mois, pour saturer les nappes phréatiques et les sols en eau provoquant des crues lentes et persistantes. Dans ce contexte, les pluies abondantes ne sont pas les seules en cause. La manière dont les sols ont été occupés, cultivés et imperméabilisés jusqu’ici dans cette zone contribue également à affaiblir le rôle habituel des sols contre les inondations. Les Hauts-de-France figurent d’ailleurs au deuxième rang des régions métropolitaines les plus artificialisées. « Il y a beaucoup d’endroits en France où le problème n’est pas la fragilité du sol en lui-même mais la pression de l’urbanisme et des aménagements », abonde Laurent Briançon, géotechnicien et chercheur au laboratoire GEOMAS à l’INSA Lyon. En France, l’équivalent de la surface d’un terrain de football est artificialisé toutes les 7 min.
Quand la montagne s’écroule

Des maisons en péril
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Cartographie de l'exposition du territoire au phénomène de retrait gonflement : 48 % du territoire est en zone d'exposition moyenne ou forte. Crédit : Bureau de recherches géologiques et minières.
Reculer face aux cumuls des risques
Comme pris dans un étau qui se resserre inlassablement, nos sols sont également menacés par la montée des eaux.A ce rythme, jusqu’à 50 000 logements seront devenus inhabitables en métropole et dans les DROM, d’ici à 2100 selon le Centre d’études sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA). D’ores et déjà, certaines solutions comme des digues sont mises en place le long de certains littoraux. Mais dans de nombreux cas, les habitants sont contraints de reculer. En Vendée, après la tempête Xynthia en 2010, plusieurs digues ont sauté, d’autres ont été reconstruites mais 15 ans plus tard, la menace est encore bien présente.
« Il faut bien comprendre que tous ces risques peuvent se cumuler. Par exemple, sur un sol argileux, l’eau reste en surface, c’est très problématique, car en plus du retrait-gonflement des argiles on peut facilement avoir une inondation », témoigne Catherine Pothier. Face à ces menaces qui parfois s’empilent, l’adaptation est urgente.
S’adapter
Les experts scientifiques appellent à une meilleure prise en compte du sol et de ses caractéristiques géotechniques dans les projets d’aménagement, en amont des constructions. « Il y a eu des recommandations faites par le Comité Français de Mécanique des Sols (CFMS) concernant certains ouvrages notamment du Grand Paris où il y a des argiles gonflantes. Par exemple avec l’utilisation de blocs de polystyrène ou des systèmes alvéolaires on peut compenser les effets du retrait gonflement des argiles. Il faut juste anticiper et bien faire l’étude géotechnique », détaille Laurent Briançon dont le laboratoire est « de plus en plus sollicité pour sécuriser et mieux prévenir les risques ». Face aux inondations, les territoires agissent également. À Romorantin-Lanthenay dans le Loir-et-Cher par exemple, la mairie a fait le choix, il y a 10 ans, d’aménager un quartier inondable en plein centre-ville. Lors de la crue de 2016, ce fut le seul quartier épargné.S’adapter ce n’est pas seulement construire ailleurs et autrement mais aussi utiliser ou réutiliser certains matériaux : « on travaille beaucoup sur les bétons biosourcés et il y a par ailleurs un vrai enjeu aujourd’hui dans le génie civil à réutiliser d’anciens remblais », ajoute le spécialiste de la mécanique des sols. Avec l’émergence de l’intelligence artificielle, d’autres possibilités se dessinent également. « Nous utilisons aujourd’hui l’IA pour obtenir une meilleure connaissance des phénomènes déclenchants des chutes de blocs avec l’objectif de créer des modèles capables de mieux anticiper ces risques par la suite », explique Catherine Pothier qui consacre désormais ses recherches dans ce domaine depuis qu’elle a rejoint en 2017 le laboratoire LIRIS. En juillet 2018, le plan national d'adaptation au changement climatique 2018-2022 (PNACC 2) a fait de la résilience des sols, un enjeu majeur. Aujourd’hui le PNACC-3 2023-2027 consacre également une place aux sols, mais de manière transversale, dans plusieurs axes stratégiques avec de nombreuses mesures.
https://www.lyon.fr/lieu/services-ville-de-lyon/service-constructions-et-balmes