L’étau se resserre. Jeudi 30 mars, le gouvernement a souhaité donner un cadre aux pratiques des influenceurs. L'Assemblée Nationale a adopté, à l'unanimité et en première lecture, une loi visant à « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ».
Ces femmes et ces hommes sont suivis au quotidien. A l’image de Paola Locatelli, véritable star des réseaux sociaux. Avant presque chacune de ses sorties, l’influenceuse de 19 ans ouvre ses colis fraichement reçus de marques de vêtement et se prépare, sous les yeux de ses 1,5 million d’abonnés sur TikTok.
Même si elle reste moins suivie que le numéro un, Squeezie, et ses 8,2 millions d’abonnés sur Instagram, tous deux jouissent d'une popularité dépassant souvent celle des médias traditionnels. Leurs contenus, allant du divertissement aux idées cuisines ou beauté, diffusés sur des plateformes comme YouTube, TikTok ou Instagram, suscitent l'attention d'un large public. Les marques comme Sephora, Levi’s ou Burger King, ont pris note de leur influence, privilégiant de plus en plus ce levier pour faire parler d’elles.
Les chiffres du marketing d’influence montrent que sa popularité se conjugue avec son efficacité. Ce marché pèserait 16.4 milliards de dollars en 2022, soit 20 fois plus qu'en 2015, selon une étude de l’Hubspot en 2022. Véritable atout pour une entreprise, les avis et les recommandations des influenceurs sont souvent relayés par les médias traditionnels, permettant ainsi d'augmenter la portée d’une campagne RP. Ils ont la capacité de générer un fort engagement et d'atteindre un public spécifique. Malgré sa croissance fulgurante, depuis plus d’un an, le monde de l’influence est secoué par plusieurs scandales et polémiques à cause de son lot de pratiques commerciales trompeuses.
« La fête est finie »
Arnaques, manque de transparence des partenariats, éloge de la surconsommation, photos retouchées, promotion de produits illicites. La polémique des influvoleurs" a ébranlé les bases florissantes du marketing d'influence et fait la une des médias. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a ciblé près de 60 % des influenceurs pour des infractions liées au marketing d'influence.
Face à ce constat, les autorités ont pris au sérieux ces manquements aux bonnes pratiques. Le 7 mai dernier, sur le plateau de BFM TV, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a adressé un message sans équivoque aux influenceurs malhonnêtes : "La fête est finie pour tous ceux qui pensent pouvoir tricher en toute impunité sur Internet". Lors de son intervention, le ministre a répondu aux accusations de Magali Berdah, surnommée la "papesse" des influenceurs, qui l'accuse de contribuer au cyberharcèlement dont elle est victime en raison de ses déclarations. Selon elle, Bruno Le Maire ne distingue pas les honnêtes influenceurs des abus causés par certains, dans ce qu’il appelle le “Far West” d’internet.
L’image des marques au cœur de l’équation
Dans une tribune percutante publiée sur CBNews, Adèle Maier, avocate chez BOUCHARA & AVOCATS, alerte sur les "dérives des influenceurs". Selon elle, les marques doivent considérer ces personnalités comme une opportunité exceptionnelle, mais aussi comme des vecteurs de communication porteurs de risques.
D’ailleurs, certaines marques et entreprises n’hésitent pas à se désolidariser de leurs influenceurs pour ne pas voir leur réputation entachée. En décembre 2022, Webedia, qui gère la monétisation de la chaîne YouTube de Norman, a ainsi annoncé sur son compte Twitter la "mise en suspens de sa collaboration" avec le Youtubeur, à la suite de sa mise en examen.
Dans la tourmente, la nouvelle Union des métiers de l'influence et des créateurs de contenu (Umicc) a récemment publié une tribune dans le JDD. Son objectif : redorer l'image d'un secteur controversé et potentiellement capable de mettre en péril leur profession. Pour l’Umicc, il est impératif de ne pas "casser le modèle vertueux" du marketing d'influence à cause d'une "minorité" d'influenceurs. Bien que certains signataires, parmi les plus célèbres du web, se soient dissociés du texte, tous cherchent à se distinguer des mauvais acteurs et pointent du doigt les pratiques des stars de la téléréalité, qui sont largement minoritaires dans le domaine.
Réinventer l’influence : l’étape indispensable ?
Les nouvelles lois semblent donc arriver à point nommé, alors que la méfiance gagne du terrain chez les consommateurs. Une étude réalisée par Reech en 2023 sur le monde de l'influence révèle que les personnes interrogées ne font pas confiance aveuglément aux créateurs : seulement 24 % des personnes qui suivent des influenceurs les considèrent comme des sources fiables lorsqu'il s'agit d'acheter un produit.
Les attentes des fans de créateurs et des autres utilisateurs des réseaux sociaux sont similaires : deux tiers d'entre eux souhaitent que l'influence évolue vers davantage de responsabilité et d'éthique. Parmi les mesures jugées essentielles pour une influence plus responsable, le bannissement des arnaques se positionne en tête de liste. En effet, 68 % des personnes interrogées considèrent cette lutte comme une priorité.
La régulation de l’activité des influenceurs permettrait donc de répondre à une demande semble-t-il majoritaire. Mais cela suffira-t-il à regagner la confiance du public et donc plus largement, assurer la survie du marketing d’influence ?
Randa El Fekih