L’évolution est surtout liée aux usages qu’ont les individus, et notamment les jeunes, des réseaux sociaux pour s’informer, au détriment de médias plus traditionnels. Assez logiquement, les annonceurs se tournent alors vers ces plateformes où se concentrent les audiences. Par ailleurs, le coût publicitaire des plateformes est, dans l’absolu, attractif pour les annonceurs par rapport aux médias davantage historiques. Donc le choix est assez vite fait…
Quels sont les risques qui peuvent être engendrés par cette augmentation des investissements publicitaires tournés vers les GAFA ?
Il y a tout d’abord un risque sur l’équilibre démocratique. Les médias historiques investissent dans des équipes de journalistes, qui travaillent dans un objectif de qualité de l’information, avec une déontologie. Et c’est tout ce travail qui permet de développer l’esprit critique, la capacité de discernement des individus. Nous ne sommes pas dans la même dynamique avec les réseaux sociaux, et donc un usage informationnel à travers les plateformes est évidemment très dangereux dans un contexte où tous les individus sont à la fois consommateurs et producteurs de contenus. On a plusieurs cas qui démontrent, dans une géographique donnée, que l’absence de médias locaux, historiques… représente un risque sur la production de « fake news » et la propagation de complotisme.
Au-delà de la société, il existe des risques pour nos marques. La diversité des médias c’est une pluralité de points de contact possibles pour une marque et donc la possibilité de pouvoir travailler avec différents types de partenaires médias en fonction des objectifs, des besoins. Perdre cette diversité, c’est perdre une richesse de possibilités. Notre objectif est de développer des valeurs fortes pour nos marques annonceurs. Le risque, c’est de passer à côté de l’association avec des médias historiques qui sont eux-mêmes des marques à part entière, avec un fort ADN et qui peuvent permettre justement de booster certaines valeurs. C’est pour ça que je trouve que le choix des marques médias dans nos plans doit être envisagé comme du « co-branding ».
L'étude commandée par les Relocalisateurs en novembre 2024 met également en garde contre une perte d’emplois locaux liés à ce changement de la publicité qui se tourne de plus en plus vers les GAFA : quel est le lien entre perte d’emplois et publicité ?
Effectivement, c’est tout un écosystème économique et social qui est mis en place par ces médias historiques et locaux basés en France et qui bénéficient à l’économie française directement. C’est un modèle différent chez les plateformes. Et en effet l’étude d’impact économique réalisée pour les Relocalisateurs montre l’impact négatif sur le PIB et les recettes de la France d’une progression des investissements au sein des plateformes. Sans opposer les médias et les plateformes, il faut se saisir de ces enjeux de baisse d’investissements publicitaires afin d‘éviter des scénarios catastrophes. En termes de perte d’emplois, d’économie, mais aussi, comme évoqué précédemment, en termes de démocratie et de citoyenneté.
Justement, dans le cadre du Positive Media Project, vous réalisez une étude sur la perception du lien entre investissements publicitaires et diversité des médias. Pouvez-vous revenir rapidement sur la genèse de ce projet ?
Nous avons mis en place le Positive Media Project il y a quatre ans, en réponse à l’essor des questions autour de la responsabilité dans l’univers de la communication, en matière environnementale, de représentation, etc. Mais nous avons effectivement voulu axer ce quatrième cycle autour des médias et de l'équilibre démocratique, car la RSE ne se résume pas aux questions environnementales. Il nous semblait important de réaliser une étude qui ferait le point sur l’état de compréhension des individus de ces enjeux-là, et de le faire en miroir, c’est-à-dire à la fois auprès du grand public, mais aussi auprès des acteurs de l’écosystème : nos clients, nos partenaires médias et nos talents.
Et alors, qu’en est-il ?
Il s’est avéré que seuls 26% du grand public ne perçoivent le lien entre investissements publicitaires et préservation de la diversité des médias. Les gens ne comprennent pas bien que la publicité joue un rôle essentiel dans l’existence des médias, pour qu'ils continuent à produire de l’information de qualité. Le chiffre est certes plus élevé auprès des professionnels de l’écosystème (clients, partenaires media et talents), mais il se limite à 54% seulement. Par ailleurs, à peine 55% des Français font le lien entre la diversité des media et l’équilibre démocratique. Ces résultats montrent que nous avons collectivement oublié (ou pas appris…) l’importance des médias historiques et l’impact qu’ils ont, pour la société mais aussi pour les marques, en termes de marketing. Il nous semblait donc important d’élever le niveau de connaissance des équipes autour de ces enjeux dans le cadre de cette session du Positive Media Project.
Justement, comment vous êtes-vous saisis de ces enjeux de formation ?
Le quatrième cycle du Positive Media Project s’organise en sessions de demi-journées, réparties de décembre à janvier, où nous faisons intervenir des experts qui nous éclairent sur cette thématique de l’équilibre démocratique. Des partenaires médias nous ont expliqué la façon dont ils adaptent leurs propositions pour réussir à capter les audiences autour de l’information – nous avons par exemple reçu Olivier Laffargue, qui est chef vidéo au service vertical du Monde. Nous avons aussi organisé une séance sur le risque que l’IA présente pour l’enjeu démocratique, avec des interventions d’Estelle Cognacq, directrice adjointe de France Info. Nous avons eu aussi le cabinet PMP Strategy et qui a partagé en détails les résultats de l’étude de l’Arcom. Ce sont des moments qui nous ont permis d’échanger et d’imaginer ensemble des solutions.
Enfin, en interne, nous avons un programme de formation afin de sensibiliser les équipes au fait que le choix d’un média n’est pas anodin. Notre objectif est de sortir d’une vision très limitée de la performance qu’ont les marques, qui serait liée uniquement au bas du « funnel », au court terme, à la conversion immédiate. C’est important, mais la performance doit aussi construire des valeurs de marques, de moyen et long terme, et prendre en compte la responsabilité, car c’est ce que demandent les citoyens.
Comment envisagez-vous la suite ?
Je pense qu’il est crucial de nous acculturer collectivement à ces sujets-là. Nous devons continuer ce travail de sensibilisation de manière beaucoup plus massive. Nous avons justement prévu de sortir un livre blanc, qui paraîtra mi-décembre, récapitulera les apports de cette dernière édition du Positive Media Project et que nous diffuserons à l’ensemble de l’écosystème.
Comment faire pour créer à nouveau de l’attraction pour ces médias traditionnels ?
Je pense qu’il est important d’accompagner les médias dans la revalorisation de leur marque. Il s’agit surtout de pousser leurs singularités, travailler leur modernité et faire valoir les éléments de saillance dont ils peuvent disposer. Il faut aussi essayer de proposer une expérience pour les individus, qui soit au même niveau que ce qu’on peut retrouver sur les plateformes. Les marques médias ont déjà des communautés fortes et attachées, mais l’objectif est d’arriver collectivement à étendre la désirabilité que peuvent susciter ces marques, tout comme nous le faisons avec les marques de nos annonceurs.
Propos recueillis par Cléophée Baylaucq.