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L'impact des deepfakes sur la crédibilité de l'information

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À l’ère de l’intelligence artificielle, les deepfakes défient la vérité journalistique. Ces contenus falsifiés bouleversent en effet le travail des professionnels de l’information et imposent l'usage de nouvelles méthodes de détection. Décryptage de ce phénomène qui inquiète de plus en plus la profession.

L'impact des deepfakes sur la crédibilité de l'information
L'impact des deepfakes sur la crédibilité de l'information ©Unsplah
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En août dernier, plus de 7 millions d’utilisateurs ont visionné en quelques jours seulement une fausse vidéo du footballeur Kylian Mbappé enfant, sermonné par son père. Et il suffit de jeter un œil aux commentaires pour le constater : nombreux sont les internautes qui sont tombés dans le panneau de ce deepfake devenu viral.

Et cet exemple ne fait pas exception : selon le World Economic Forum, le nombre de contenus en ligne qualifiés de « deepfakes » aurait augmenté de 900 % entre 2019 et 2020. Les experts prédisent même que 90 % du contenu en ligne pourrait être généré de manière artificielle d’ici 2026.

Alors quels sont les nouveaux défis liés à la détection et à la dénonciation de tels contenus ? Et surtout, quelles sont les bonnes pratiques pour maintenir la crédibilité journalistique à l’ère des deepfakes ? Voici notre décryptage.



Les deepfakes, nouveau fléau de la désinformation

Les deepfakes sont ces vidéos, images ou enregistrements audio créés à l'aide de l'intelligence artificielle pour falsifier l'apparence ou le discours d'une personne. Le plus souvent, les deepfakes consistent à superposer le visage et la voix d’une personnalité publique sur une vidéo existante, pour générer une séquence visuelle trompeuse.

L’exemple type, c’est cette vidéo de Barack Obama, qui clame haut et fort « Donald Trump is a total and complete dipshit » (« Le président Trump est un abruti complet »). Ce deepfake, réalisé en 2018 par le comédien Jordan Peele en collaboration avec BuzzFeed News, visait à alerter le public sur les potentiels dangers de ces contenus d’un nouveau genre.

Les deepfakes se répandent en effet comme une traînée de poudre sur le web et, à l’inverse de cet exemple, sont bien souvent générés par des personnes aux intentions peu louables. En juillet dernier par exemple, quelqu’un a diffusé sur X (ex-Twitter) une fausse interview d’Elon Musk dans laquelle on pouvait l’entendre vanter une plateforme de cryptomonnaies. Il s’agissait en réalité d’un contenu manipulé, créé pour piéger les utilisateurs et les rediriger vers une arnaque en ligne (source : Franceinfo).

 

La crédibilité journalistique à l’épreuve des deepfakes

Les deepfakes peuvent aller jusqu’à tromper les journalistes les plus aguerris. C’est ce que souligne Ben Nimmo, chercheur principal en défense de l’information au Digital Forensic Research Lab à Atlantic Council : « ils pourraient amener les journalistes à commettre des erreurs » (source : Africa Check).

De quoi impacter significativement la perception du public de la sphère médiatique, et menacer la crédibilité journalistique, alors que la confiance de la population envers les médias s’affaiblit déjà d’année en année. Selon le 35e baromètre de confiance dans les médias Kantar-La Croix, seuls 49 % des Français déclaraient en effet faire confiance aux médias en 2022, contre 56 % en 2018.

Rétablir la confiance dans les médias s’annonce donc plus que jamais un défi à l’heure des deepfakes. D’autant plus qu’ils génèrent parfois des zones de flou sur lesquelles il est très difficile de faire la lumière. 

Une récente supposée interview téléphonique de Donald Trump par la chaîne de télévision Real America's Voice a par exemple semé le doute. Le ton de la voix et les irrégularités de diction de l’ex-président américain mettent en effet en cause l'authenticité de l’échange, que beaucoup d’observateurs attribuent à un deepfake. Un ancien membre de l’équipe de campagne de Trump a lui-même exprimé ses suspicions sur
Twitter : « Je ne sais pas qui a fait cette interview, mais ça ne sonne pas comme Donald Trump » (source : Slate).

L’ancien président n’ayant pas clarifié la situation, le doute continue de planer sur la véracité de cette interview, et par conséquent, sur le sérieux des journalistes l’ayant organisée.

 

La chasse aux deepfakes : comment révéler l’imposture 

Des techniques concrètes existent, expliquées notamment dans cet article de Libération. La plus simple est de repérer des incohérences visuelles dans les vidéos, en observant attentivement les clignements des yeux, l’orientation de la lumière ou encore les mouvements des lèvres.

Dans le cas des contenus audio, repérer les deepfakes est plus difficile, mais des indices peuvent se cacher dans le débit de paroles, la respiration, ou encore l’intonation. C’est ce qu’explique Factuel, le service de fact-checking de l’AFP, dans cette vidéo qui décrypte le faux message vocal d’Emmanuel Macron au chef des militaires putschistes au pouvoir en Guinée.

Par ailleurs, des outils de détection automatique existent : Deepware, Truepic, ou encore Microsoft Video Authenticator qui analysent les vidéos, audios ou images et donnent un verdict sur l’authenticité d’un contenu. L’outil FakeCatcher, introduit récemment par Intel, revendique un taux de précision de 96 %.

Ce taux, bien que très élevé, souligne néanmoins le problème de ces techniques et outils : ils ne sont jamais fiables à 100 %, et les progrès constants de l’intelligence artificielle rendent la détection des deepfakes toujours plus difficile.

 

La vérification des sources à l’ère des deepfakes

Face aux informations suspectes, les journalistes doivent faire preuve de toujours plus de prudence et vérifier minutieusement leurs sources. Il est par ailleurs désormais essentiel pour les professionnels de l’information de se former en continu face aux évolutions rapides des menaces en matière de désinformation, et de collaborer, si besoin, avec des experts en technologies avancées pour évaluer certaines sources.

Pour ne rien laisser au hasard, de nombreux médias se sont d’ailleurs dotés de services de fact-checking, avec des compétences avancées en matière de détection de deepfakes. C’est par exemple le cas du Monde, qui a développé une expertise reconnue en matière d’analyse et de vérification de vidéos.

Finalement, là est toute l’ambivalence de l’impact des deepfakes sur le travail des journalistes. Si ces nouveaux contenus constituent incontestablement une menace pour la profession, ils sont aussi l’opportunité de renforcer le rôle des journalistes dans la vérification des faits, et de les ériger ainsi en véritables défenseurs de la vérité.


Ingrid de Chevigny
 

      

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