Le Média Mathieu Jahnich : « La communication responsable ne doit pas être perçue comme une perte d'efficacité. »
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Mathieu Jahnich : « La communication responsable ne doit pas être perçue comme une perte d'efficacité. »

Bonnes pratiques RP Media

Enjeux environnementaux et sociaux obligent, la communication est un levier crucial pour les entreprises cherchant à adopter des modèles plus durables. De la mesure de l'impact environnemental à l'évaluation de la pertinence des informations diffusées, en passant par la nécessaire humilité des entreprises, découvrez les clés pour faire de la communication responsable un véritable moteur pour l’entreprise. Entretien avec Mathieu Jahnich, consultant-chercheur en marketing et communication responsables, gérant de MJ Conseil.

Mathieu Jahnich : « La communication responsable ne doit pas être perçue comme une perte d'efficacité. »
Mathieu Jahnich communication responsable
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Diminuer son impact écologique est le nouvel axe des stratégies de communication. Certains parlent de "décarboner sa communication", en quoi ça consiste ? 
 
La lutte contre le réchauffement climatique est devenue une priorité, mais quand on parle du carbone on oublie d’autres enjeux : la biodiversité, les inégalités sociales, la surexploitation du vivant. On doit plutôt parler de “communication responsable” pour avoir une vision large des enjeux et réduire son impact de façon globale. Pas seulement du carbone, au détriment d’autres enjeux. L'expression "décarboner" peut donner l’impression que toute présence de carbone sera éliminée, alors que le véritable objectif est de réduire cette présence, car il y en aura toujours un certain niveau. 
 
La communication responsable s’inscrit dans une société plus sobre : communiquer moins, mais mieux. Aujourd’hui, nous sommes submergés d’informations et les fakes news se multiplient. Faire de la communication responsable c’est se demander si l’on contribue à cette infobésité ressentie par le public, en évaluant la pertinence des informations diffusées. Dans la forme : quand on développe un site web, il faut analyser l’ensemble du cycle de vie, des matières utilisées aux personnes mobilisées et contenus édités. Dans le fond, il faut se demander :  est-ce que ma communication participe à certains stéréotypes ? Est-ce que je participe au greenwashing ? La façon dont on présente son produit ou son service est primordiale : est-ce que ma publicité valorise la surconsommation en créant de la frustration ? 
 
Dans les années à venir, pour continuer à exister, les entreprises devront effectuer une transformation en profondeur de leur communication. L’inflation, depuis la guerre en Ukraine, a montré l’importance d’un modèle stratégique responsable et la communication est au cœur de ces sujets-là. 
 
Pourquoi est-ce important pour les entreprises et organisations aujourd’hui ? 
 
Selon moi, c’est un mouvement d’ensemble. Les entreprises et les organisations sont confrontées à une pression croissante de la société civile en matière de RSE. Les alertes au greenwashing des ONG comme Thomas Wagner, du Bon Pote exercent une pression constante sur les entreprises. Et désormais, les citoyens se mobilisent de manière plus radicale, les actions indépendantes pour dénoncer se multiplient et poussent les entreprises à changer. De plus, les réglementations nationales comme la loi climat, ou à l’échelle européenne avec la protection des consommateurs qui encadrent le greenwashing, obligent les entreprises à repenser leur modèle. Personnellement, je ne trouve pas ces directives suffisantes, mais la pression se fait de plus en plus ressentir. 
 
Quels sont les principaux défis auxquels les entreprises et organisations font face lorsqu'elles essaient de faire cette transition vers une communication responsable ?
  
Tout d'abord, il est difficile de trouver des indicateurs adaptés pour mesurer l'impact environnemental d'un événement ou d'une action de communication. C’est le sujet sur lequel nous sommes le moins mature. Les analyses de cycle de vie peuvent être coûteuses et pas toujours appropriées. Cependant, des indicateurs plus simples, tels que des calculatrices carbone ou le pourcentage de vidéos sous-titrées diffusées, peuvent être utilisés pour estimer l'impact environnemental. Actuellement, la mesure du carbone est souvent utilisée comme indicateur, mais il reste encore beaucoup à faire pour développer des méthodes de mesure plus complètes et efficaces. Il faut regarder ce qu’on fait et ce qu’on peut faire. Pour ça, Il est important de former les salariés à la conception éco-responsable. 
 
Comment éviter les pièges courants de la communication "greenwashing" ? 
 
Il est essentiel de comprendre les règles déontologiques et de réaliser que les intentions de communication peuvent être comprises différemment de ce que l'on avait pensé. Les équipes communication manquent d’une réelle compréhension des enjeux écologiques. Il est important de faire preuve d'humilité par rapport aux enjeux, et de reconnaître que l'on peut toujours mieux faire. Dans les campagnes de communication, on ne doit pas faire croire que les entreprises sont parfaites. Par exemple, Burger King, dans leur dernière campagne de communication, n'a pas le droit de faire croire aux gens que la vaisselle réutilisable vient de leur propre arbitre.  
 
Par ailleurs, il existe des organisations indépendantes et des agences de réglementation. Elles peuvent fournir des directives et des règles claires sur la communication environnementale. Les entreprises peuvent également faire appel à des experts en développement durable, pour les aider à éviter les erreurs de communication et à adopter des pratiques commerciales durables et éthiques.  
 
Dans la plupart des cas, les entreprises se rendent compte après coup de leurs erreurs de communication. Elles ne le font pas exprès, car on a souvent l'impression qu'elles découvrent le sujet. 
 
Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui voudrait adopter une communication responsable ? 
 
Il est essentiel de former les équipes de communication et de marketing. Il faut aussi allouer du temps et des moyens pour que les salariés puissent mettre en place des actions bénéfiques pour la transition de l'entreprise vers une communication plus responsable et durable. 
 
La mise en place de critères RSE dans le cahier des charges est un bon début. Il est important d'anticiper et d'intégrer la communication responsable en amont des projets. Cela peut impliquer des choix plus qualitatifs, comme l'achat de goodies de meilleure qualité fabriqués en France. Bien que cela puisse représenter un surcoût, cela peut être un investissement rentable à long terme et un gage de qualité pour les clients potentiels. 
 
Et les RP dans tout ça ? Comment s’y prend-on pour construire une stratégie RP responsable ? 
 
Lorsqu'on parle de stratégie RP responsable, il est essentiel de se concentrer sur le message et les contenus que l'on souhaite promouvoir. Les RP doivent transmettre un message clair et réfléchir à la manière dont il est diffusé. Il faut insister sur la fiabilité des données et des communiqués de presse, en proposant par exemple une certification CP pour garantir la qualité de l'information. 
 
Les “blacks PR” existent et il faut rompre avec ces pratiques. Un exemple a été observé avec l'entreprise Orpea. Celle-ci a mandaté une agence de RP pour lancer une étude au niveau européen à propos de la perception des citoyens sur la qualité de vie dans les Ephad, juste avant la sortie d'un livre critique sur l'entreprise. Cette technique de RP visait à orienter le débat public et à donner un autre angle sur un sujet sensible. Il est crucial de prendre conscience de ces pratiques et de lutter contre leurs effets néfastes.  
 
Quels conseils avez-vous à donner pour une stratégie RP responsable ? 
 
Il est important de revenir à l'aspect de sobriété dans l'infobésité. Il est essentiel de changer l'approche de massification permise par le numérique. Une fois que l'on en a conscience, il faut renouer le dialogue avec les publics et ne plus considérer les journalistes comme de simples réceptacles d'informations, mais comme des êtres humains. Par exemple, on peut leur demander si l’information les intéresse avant de leur envoyer, on peut aussi leur demander leur préférence en termes de communication (PDF ou mail, par exemple). 
 
Adopter une communication responsable n'a-t-il pas d’impact sur la performance ? 
 
Adopter une communication responsable peut effectivement impacter la performance, mais cela ne doit pas être perçu comme une perte d'efficacité. Si certaines entreprises refusent de diffuser leur publicité sur des panneaux lumineux, elles peuvent choisir la presse écrite comme support et utiliser les ressources dédiées à d’autres outils de communication plus responsables. Il faut renoncer à certains bénéfices pour le bien commun et penser à la pérennité de l’entreprise. 
 
Dans la majorité des secteurs, faire des choix plus responsables permet davantage d’efficacité : faire un site web responsable accorde au public une meilleure navigation, avec un poids qui permet une charge plus rapide des contenus et donc un bon référencement. Sur les réseaux sociaux par exemple, réduire le nombre de publications de 7 à 5 par semaine peut permettre de se concentrer sur la qualité des productions et donc améliorer ses performances. 
 
Il est important de trouver un équilibre entre le bien commun et la maximisation des profits à court terme. Pour être efficace, il faut repenser la manière dont on mesure l’impact et les bénéfices de sa communication. 


Propos receuillis par Randa El Fekih
 

  

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