« Les vérificateurs de faits ont tout simplement fait preuve de trop de partialité politique et ont détruit plus de confiance qu'ils n'en ont créée, » déclarait Mark Zuckerberg, le 7 janvier dernier. Il justifiait ainsi la fin des partenariats entre Meta et les fact-checkeurs, remplacés par des « community notes » à l’image de X. Cette décision semble renforcer le discours anti-média mainstream, porté par des figures comme Donald Trump et Elon Musk.
« Avec les réseaux sociaux, le rapport de force a totalement changé, les politiques, le pouvoir économique ou les personnalités publiques ont tout intérêt à discréditer le paysage médiatique qui leur pose des questions qui fâchent, enquête sur eux et les contredit », constate Laurent Bigot, maître de conférences à l’université de Tours, auteur de Fact-checking VS fake news : vérifier pour mieux informer (INA Editions).
« Nous, fact-checkeurs, sommes des cibles privilégiées des populistes, car nous représentons l’opposé de leur modèle : nous valorisons l’expertise et les faits plutôt que les opinions infondées », estime Julien Pain, rédacteur en chef et présentateur de « Vrai ou faux » sur franceinfo. Selon le journaliste, l’idée relayée par ses détracteurs, selon laquelle « toutes les paroles se valent » et d’après qui il faudrait « cesser de faire confiance aux experts manipulateurs », prend de plus en plus d’ampleur.
Cette défiance va parfois même jusqu’aux menaces physiques à l’encontre des fact-checkeurs. « C’est une conséquence de l’émergence des réseaux sociaux, qui offrent la possibilité de s’exprimer de manière quasi anonyme, avec un sentiment d’impunité, dans un environnement qui favorise la virulence », déplore Cédric Simon, adjoint à la rédaction en chef Investigation numérique de l’AFP (Factuel), dont les journalistes subissent également du harcèlement en ligne. Et de préciser : « C'est le cas malheureusement de beaucoup de personnes qui s'exposent en participant au débat public. »
Les effets paradoxaux du fact-checking
Une étude menée en mai 2024 par la fondation Jean Jaurès, souligne une critique du fact-checking : qualifier un fait ou une information de « désinformation » relèverait d’une censure à motivation politique (et donc subjective) restreignant la liberté d’expression. « Il peut nous arriver de qualifier une fausse information de désinformation, mais uniquement lorsque nous établissons une intention délibérée de tromper », explique Cédric Simon de l’AFP Factuel.
« Nous ne pouvons pas être des censeurs, puisque nous n’avons pas de bouton pour supprimer l’information en question », rappelle Julien Pain. Laurent Bigot, directeur de l’Ecole Publique de Journalisme de Tours, souligne quant à lui « une confusion autour de la notion de liberté d’expression, qui doit s’inscrire dans un cadre sociétal, garantissant le vivre-ensemble. »
Parmi les reproches adressés au fact-checking, figure l’idée que se positionner en arbitre de ce qui constitue la réalité ou non, risquerait de contribuer à la polarisation du débat public. « Ce serait le cas si nous défendions une opinion plutôt qu’une autre, mais ce n’est pas notre démarche, se défend Cédric Simon. Il nous arrive de signaler que certaines déclarations de politiques sont erronées, trompeuses ou insuffisamment contextualisées. Mais nous nous interrogeons toujours : vérifions-nous bien un fait, ou un chiffre, et non une opinion ? »
« Le fact-checking implique une conclusion, car c’est l’un des rares genres journalistiques où l’on tranche, mais cela n’a rien d’arbitraire », précise le directeur de l’EPJT. « Cette conclusion dépend uniquement des faits à disposition. »
Julien Pain nuance également : « Il ne faut pas croire que fact-checker, c’est simplement décréter ce qui est vrai ou faux. Très souvent, nous apportons des éléments de nuance et de contexte. Ce discours qui assimile la vérification des faits à une forme d’arbitrage de la vérité ou de bien-pensance est regrettable. »
Toujours selon la même étude, 45% des personnes interrogées estiment que les fact-checkeurs sont biaisés parce qu'ils sélectionnent souvent certains types d'informations au détriment d’autres. Cédric Simon répond en détaillant les critères de sélection : « D'une part l’impact et la viralité de l’information à vérifier ; d’autre part, son caractère potentiellement nuisible pour les utilisateurs comme dans le domaine de la santé. » S’il reconnait que ces critères peuvent conduire à privilégier certaines vérifications plutôt que d’autres, il réfute toute intention partisane. « Beaucoup nous pointent du doigt et nous utilisent comme bouc émissaire dans le cadre d’agendas politiques », analyse Julien Pain.
Réconcilier le public et l’information
Afin de garantir l’absence de biais, différents labels internationaux existent, comme l’IFCN, dont l’AFP est membre. Son code de principes comprend 31 règles, dont l’obligation de transparence. « Être capable de corriger ses erreurs de manière visible, avoir une politique de gestion des erreurs accessible sur son site Internet, ce sont des impératifs pour restaurer la confiance du public envers les médias », estime le directeur de l’EPJT, également assesseur de l’IFCN pour la francophonie. « Les organisations membres doivent se soumettre à un contrôle indépendant annuel, garantissant la qualité et l’indépendance de leur travail, condition essentielle notamment pour les plateformes partenaires », complète Cédric Simon.
Pour espérer améliorer la perception du public à l’égard de la vérification des faits, Julien Pain préconise une évolution des pratiques : « Il faut se réinventer et explorer de nouvelles approches, pas seulement via les plateformes sociales, mais aussi à travers des initiatives locales : associations, débats publics… Il s’agit de réintroduire notre travail de vérification dans des contextes moins polarisés et moins idéologiques. Car ceux qui dirigent les réseaux sociaux n’ont aucun intérêt à financer autre chose que ce qui sert leur idéologie. »
Un rempart contre la désinformation
À l’origine, le fact-checking servait surtout à vérifier l’authenticité des informations issues d’Internet avant de les diffuser dans les médias traditionnels. « Une ressource précieuse pour documenter des événements inaccessibles, notamment dans les pays autoritaires », se souvient Julien Pain. À cette époque, la vérification des faits jouissait d’une meilleure réputation. Mais en quinze ans, son rôle a profondément évolué. « Désormais, nous devons vérifier les informations pour éviter d’être manipulés en permanence », regrette le fact-checkeur.
« Le fact-checking est un outil puissant pour démontrer la valeur ajoutée du journalisme face à la masse d’informations disponibles. Mais son format a une portée très limitée », estime Laurent Bigot. « Aujourd’hui, l’information ne se limite plus aux médias traditionnels, elle est partout. », complète le directeur d’école. Il déplore également un manque d’introspection chez les professionnels de l’information : « Les médias sont disqualifiés par des personnes puissantes comme Musk ou Trump, mais également par la population. D’abord par influence, mais aussi parce que les médias n’ont pas tout fait pour mériter la confiance de la population : il y a régulièrement trop d’erreurs. »
Pour Cédric Simon, adjoint de l’AFP factuel, il est crucial de « réfléchir en permanence aux moyens les plus pertinents pour toucher le public. Mais cette réflexion dépasse largement le cadre du fact-checking : elle concerne l’avenir du journalisme dans son ensemble. »