Le Média Fake news : le nouveau risque stratégique pour les entreprises
Article

Fake news : le nouveau risque stratégique pour les entreprises

Réseaux Sociaux RP

Faux sites d’information, tweets mensongers, deepfake… Les entreprises ne sont plus à l’abri d’être la cible de campagne de désinformation. En quelques minutes, une fake news peut ébranler leur réputation. Comment anticiper ces attaques et y répondre sans céder à la panique ? Décryptage.
 

Fake news : le nouveau risque stratégique pour les entreprises
Fake news : le nouveau risque stratégique pour les entreprises
Partager cet article sur les réseaux sociaux
6 mars 2025. En pleine réunion, Nathalie Grand-Clément, directrice générale de l’enseigne Centrakor, doit gérer une crise inattendue. Un collaborateur inquiet lui transmet le lien d'un site annonçant en gros titre : « Centrakor ferme ses portes définitivement ». Cette fausse information va très vite enflammer la toile. « En quelques heures, la fausse information était sur tous les réseaux sociaux et relayée par d'autres médias peu scrupuleux, raconte-t-elle. Plusieurs de nos salariés, adhérents et clients y ont cru et se sont alarmés. »

Est-ce un cas isolé ? « Pas du tout », observe Thomas Huchon, journaliste spécialiste des infox et auteur du livre “Résister aux fake news”. « De nombreuses entreprises ont déjà subi ce type d'attaque. » Il cite notamment Pathé et la RATP qui ont fait l’objet de campagnes agressives autour de la présence supposée de punaises de lit sur leurs sièges.


“La menace est polymorphe”

 
Aussi anecdotiques paraissent-elles, ces fausses rumeurs peuvent avoir de lourdes conséquences. « Aujourd'hui, la désinformation est clairement utilisée comme une arme contre les entreprises, mais peu de dirigeants en mesurent l'ampleur », avertit Thuy-My Vu, spécialiste en gestion de crise informationnelle et fondatrice du label "Responsabilité Informationnelle et Sociétale des Entreprises", RISE. 
 
Thomas Huchon se souvient de la crise par laquelle est passée l’entreprise Vinci, en 2016 : « Un faux communiqué de presse affirmait que son directeur financier avait détourné de l’argent. Cette fausse information a fait chuter le cours de bourse de l’entreprise. Ils ont perdu près de 7 milliards d'euros en seulement deux heures. »
 
Des années plus tard, le sujet semble toujours d’actualité et se serait même amplifié sur les cinq dernières années (2020-2025). Selon un classement de Brandwatch, les marques les plus associées aux fake news sont AstraZeneca, Disney, Tesla et Nestlé. Avec l’intelligence artificielle, le phénomène risque même de s’aggraver. « On peut désormais créer de faux comptes pour diffuser automatiquement de fausses informations ou imiter parfaitement le site d’un journal », s'inquiète Thuy-My Vu. « La menace est devenue polymorphe et multiple.»

Pour cause, ces faux sites d’information ont trompé les salariés de Centrakor. « En deux heures, j'ai reçu plusieurs appels de salariés et d'adhérents inquiets, qui ont cru lire un vrai site journalistique », témoigne Nathalie Grand-Clément. « Ils s'inquiétaient pour leur emploi. »
 

De multiples répercussions

Si Centrakor n’a subi qu’une inquiétude interne, d’autres entreprises ont connu des effets plus graves. Certaines fake news alimentent directement la violence, constate Thomas Huchon : « pendant la pandémie, des théories affirmaient que la 5G transmettait le virus. Ces fausses infos ont poussé des gens à passer à l'action. Des antennes Bouygues et SFR ont été vandalisées et incendiées dans plusieurs régions françaises et européennes. »

Ces impacts peuvent aussi être économiques et sociaux. « Par exemple, l'ancien discours d’un dirigeant de grande enseigne sur l'ouverture d'un nouveau magasin dans une zone désormais sensible sur le plan géopolitique peut déclencher une crise. L’enseigne risque un boycott, des démissions de salariés et des pertes financières, alors même que l'information est ancienne et parfois obsolète », illustre Thuy-My Vu. Certains secteurs d’activités sont, d’ailleurs, plus visés que d’autres. « Quand il s’agit de santé, l’effet est amplifié », précise-t-elle. « On l’a vu avec les fake news sur les vaccins ou les rumeurs sur les eaux contaminées. Ces fausses informations marquent durablement l’entreprise et fragilisent la confiance des citoyens envers la science.»

Selon Thomas Huchon, l’ampleur de la crise dépend aussi du sujet. « En 2020, Wayfair a été accusée de trafic d’enfants. Quand une entreprise est présentée comme complice d'un réseau pédophile, tout peut s'effondrer. Ce n’est pas comparable à une fausse annonce de fermeture d’une boutique. »
 

Réagir vite, mais avec méthode

Face à la désinformation, les experts recommandent de réagir vite, comme l’a fait Centrakor. « Dès le premier jour, nous avons communiqué en interne pour rassurer les équipes et diffusé un démenti officiel sur nos réseaux sociaux », explique Nathalie Grand-Clément. L’enseigne est même allée plus loin : « nous avons pris la parole à la télévision, sur TF1, et affiché des panneaux dans nos magasins pour informer les clients. »

Au-delà de la réaction immédiate, démentir une rumeur ne suffit plus pour être à l’abri, selon les experts. La formation des équipes est essentielle pour limiter les dégâts. « Les salariés doivent comprendre ce qu’est une fausse information, comment elle se propage et pourquoi elle est dangereuse. C’est devenu un enjeu stratégique au même titre que la cybersécurité », explique Thomas Huchon, qui forme les entreprises à la lutte contre la désinformation. « Je les aide à comprendre leur environnement informationnel et son évolution. Je leur conseille aussi d’être attentives à tous les signaux pour mieux détecter et réagir à temps en cas de crise. Si les salariés savent identifier une fake news et la démonter, son impact diminue considérablement », détaille-t-il.

Pour Thuy-My Vu, tout repose sur le temps de réactivité pendant une crise. « Aujourd’hui, c’est un vrai défi de réagir vite avec la viralité des réseaux sociaux. Il faut être réactif pour rassurer toutes les parties prenantes, mais aussi prendre le recul nécessaire pour vérifier les faits », analyse-t-elle. Selon elle, les meilleures armes sont la transparence et la coordination. Elle recommande de mettre en place une cellule de crise composée d’équipes pluridisciplinaires : scientifiques, directeurs de communication, services juridiques et informatiques. « Une crise peut toucher plusieurs sujets à la fois. Il est essentiel que tous les acteurs travaillent ensemble, coordonnent leurs actions et restent transparents », ajoute-t-elle.

La réaction doit être rapide, mais méthodique. « Avant de communiquer, il est nécessaire de retracer l’origine de la fake news et de prouver qu’elle est fausse avec un discours clair, sourcé et vérifié », développe-t-elle. Elle insiste également sur l’importance de la mise en place d’une veille constante : « Il est essentiel de préparer les équipes pour qu’elles sachent identifier les fake news et réduire leur impact. Les employés doivent garder un œil sur tout ce qui se passe dans leur environnement », poursuit-elle.

Enfin, l’experte en communication de crise rappelle l’importance du travail sur le long terme : « Même si une fausse information est démentie, elle laisse une trace auprès du public. C’est pourquoi, il est important de maintenir sur le long terme un discours pédagogique autour du sujet, surtout dans les secteurs les plus sensibles comme la santé, l’eau ou l’énergie où la confiance des consommateurs peut vite se perdre ».

Pour Thomas Huchon, l’éducation à la lutte contre la désinformation doit même être un enjeu citoyen : « A travers la RSE, les entreprises ont l’obligation d’assumer à la fois leurs responsabilités sociales et environnementales. Cela inclut aussi le devoir d’accompagner leurs salariés pour qu’ils deviennent des citoyens plus responsables. À ce titre, mettre en place des formations internes de lutte contre la désinformation n’est pas une option, mais une nécessité. Car si elles passent à côté de cet enjeu, elles s’exposent inévitablement à de très graves problèmes. »
 

          

Nos articles les plus récents

Voir tous les articles