Le Média C. Viktorovitch et J. de Kiss (franceinfo) - Twitch : « Parler à toutes les populations, fait partie de notre mission. »
Interview

C. Viktorovitch et J. de Kiss (franceinfo) - Twitch : « Parler à toutes les populations, fait partie de notre mission. »

Réseaux Sociaux Media

En quelques années, Twitch est devenu le nouveau terrain de jeu des médias. Et pour cause : la plateforme totalise 31 millions de visiteurs chaque jour, dans un contexte où désormais 70% des 15-34 ans s'informent quotidiennement sur les réseaux sociaux. Clément Viktorovitch et Jules de Kiss l’ont bien compris. Partenaires à l’antenne de franceinfo, le chroniqueur spécialiste de la rhétorique et le journaliste présentateur ont tous deux investi Twitch et permis à la radio d’info en continu de s’y lancer. Pour MediaConnect, ils expliquent comment leur média, traditionnel, y effectue sa mue.  

C. Viktorovitch et J. de Kiss (franceinfo) - Twitch : « Parler à toutes les populations, fait partie de notre mission. »
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Jules, vous qui êtes journaliste présentateur à franceinfo, vous animez également une chronique consacrée à l’e-sport. Est-ce cela qui vous a poussé à vous rendre sur Twitch ?  

Jules de Kiss. C'est plutôt l'inverse ! À franceinfo, je suis journaliste présentateur du 10-14 week-end depuis plusieurs années et nous y tenons effectivement une chronique esport. Mais je connais Twitch depuis bien plus longtemps, depuis les tout débuts de la plateforme, à vrai dire. Non pas en tant que « streamer », mais en tant que « viewer ». Voilà donc 13 ans que j’y roule ma bosse, soit bien avant d’être devenu journaliste. 
 
J'ai toujours aimé le jeu vidéo et surtout l'esport. Comme il s’agit d’un phénomène à part entière, très développé en France, je leur disais depuis un moment que cela valait le coup de s'y intéresser. Et franceinfo a lancé un rendez-vous esport en 2021. Mais tout cela n’a pas de lien immédiat avec la présence de franceinfo sur Twitch.  

 
Clément, vous êtes, professeur, auteur, « streamer », chroniqueur le dimanche sur franceinfo. Sur Twitch, vous parlez d’actualité, de politique et rhétorique. Pourquoi avez-vous fait le choix de ce canal pour discuter de ces sujets-là ?   

Clément Viktorovitch. J'ai sensiblement la même histoire avec la plateforme que Jules. J’étais d’abord un « viewer » sur Twitch avant d'y être un « streamer » et j’étais également présent aux débuts de la plateforme. En 2011-2012, je terminais ma thèse et lorsque je rentrais chez moi le soir, je n’avais aucune envie d’ouvrir un livre. J’avais surtout besoin de retrouver quelque chose de rassurant. C'est dans ce cadre-là que j'ai découvert des « streamers » de jeux vidéo. 
 
Pendant des années, je me suis demandé de quelle manière je pourrais me lancer à mon tour en tant que « streamer », mais je n’avais pas la légitimité pour aller sur le créneau du jeu vidéo, qui restait quand même le principal type de contenu accessible sur Twitch à l’époque.  
 
Puis la plateforme a évolué. En France, on a vu du talk-show arriver, avec Popcorn, on a aussi vu de la politique, avec Jean Massiet. A ce moment, je m’étais dit qu’il était peut-être temps pour moi d’essayer d'y amener ce dans quoi j’étais compétent ; c'est-à-dire l'analyse du discours et puis plus généralement l'amour des mots. J'ai toujours eu cette envie profonde de démocratiser les connaissances, d'être un passeur de connaissances. 
 

Qu’est-ce qui a poussé franceinfo à se tourner vers Twitch ?    

J.D.K.
Il est vrai que l'âge moyen des auditeurs de franceinfo est très éloigné du public que l’on peut retrouver sur Twitch. De manière caricaturale, les moins de 30 ans, n'écoutent pas la radio. Et même si franceinfo signe de bonnes audiences depuis plusieurs années, il faut dire que le média radio dans sa globalité perd des auditeurs de manière constante. Aujourd’hui, chez ce public-là, les réflexes pour s’informer sont tournés vers d’autres plateformes.  
 
Or, ce qui fait partie de la mission de franceinfo en tant que média de service public, c’est de parler à toutes les populations. Surtout dans un contexte de manque de confiance dans l'information, qui est en soi un défi permanent. Devant ce constat, nous sommes donc obligés de nous adapter.  

 
Comment percevez-vous la présence des médias sur Twitch ?  

C.V. La plupart de temps, lorsqu’un média tente de s’insérer sur Twitch, c’est pour le moins laborieux. C’est difficile, car sur cette plateforme, une partie non négligeable des spectateurs et spectatrices viennent rechercher quelque chose de particulier ; à savoir du réconfort. Cette idée selon laquelle, une fois chez soi, l’on a envie de se changer les idées. Or, il est beaucoup plus réconfortant de le faire sur Twitch, que des chaînes d'infos en continu ou des émissions de télévision un peu frénétiques. Et cette identité-même de la plateforme fait qu’il est très compliqué pour un média de s'y installer. 
Par ailleurs, Twitch tolère très peu les contenus trop éditorialisés, trop montés, trop raffinés. Elle n’est pas non plus adepte des contenus courts, elle a besoin de temps long et d'incarnation.  
 
J.D.K.
Sur la question de la recherche du réconfort sur Twitch, j’ajoute que Jean-Philippe Baille, directeur de franceinfo, a plusieurs fois répété - et je trouve cela très juste - que Twitch aujourd'hui, est un peu l'équivalent des libres antennes de la radio à l'époque. Quand on ouvrait les antennes aux auditeurs, qu'ils pouvaient appeler, discuter des problèmes de leur vie et que d’autres réagissaient à ce qu'ils venaient d'entendre. Un concept qui s'est étiolé et reste très dur à faire vivre dans l'information aujourd'hui. D’où l’intérêt de Twitch. 

 
Comment franceinfo adapte-telle son contenu pour s'adresser au public de Twitch ? Et est-ce que le fait d’épouser les codes de Twitch, n’expose pas votre média à produire des contenus « moins journalistiques » que sur son antenne ? 

J.D.K. Non, je ne pense pas et ce n'est pas le but. L'idée est précisément d'apporter la même exigence journalistique mais de la partager différemment, avec plus d'interactions, dans une proximité différente. Qu'on présente « Le Talk », l'émission Twitch de franceinfo, ou une émission à l'antenne radio, c'est la même chose : on est là pour mettre en avant tout le travail de la rédaction, tout son savoir-faire, avec toute la rigueur nécessaire. Ce sont les incarnations, le cadre, le rapport au public et les thématiques abordées qui peuvent changer. Mais je ne dirais pas que tout cela est moins journalistique. 
 

En 2022, franceinfo a lancé sur Twitch « Game of Rôles », un jeu de rôle politique dans le contexte de la dernière campagne présidentielle. Quels étaient vos objectifs ?  

J.D.K. Quand Clément et le « streamer » FibreTigre, ont proposé ce jeu de rôle politique, non seulement cela s’inscrivait dans le cadre de l’élections présidentielle, mais aussi dans une démarche visant à attirer un public jeune. Un public qui en grande partie se détourne du politique, qui vote peu et qui n'adhère souvent pas au traitement médiatique de la politique. Donc on s'est dit qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire, quelque chose de vraiment nouveau. Et pour la chaîne, c’était aussi une façon d’apprendre à connaître davantage Twitch et son public, et réciproquement. 
 

Comment voyez-vous l'avenir des médias sur Twitch ? Y a-t-il des tendances ou des évolutions à prévoir, selon vous ?   

C.V.
J’ai une conviction depuis longtemps : dans la défiance qui s'est installée entre une partie des citoyens et les médias, une part de cette défiance vient du fait que les citoyennes et les citoyens n'ont pas connaissance, et c'est bien normal, des contraintes qui s'exercent sur le travail du journaliste.   
  
En tant qu'auditeur-auditrice, nous voyons un sujet de 4 minutes, une tranche d'info de 2 heures, une émission de 2h30 le soir, un talk-show ou une émission de débat d'une heure et demie. Ce à quoi on ne pense pas, ce sont les conditions dans lesquelles ces sujets ont été réalisés. Peut-être ont-ils été faits dans des contraintes de production, ce qui explique parfois une partie des choix.   
  
J'ai donc la conviction que cette confiance, pour être retissée, passera par le fait d'expliquer simplement ce qu’est la production d'une information et le fait que, parfois, il y a des erreurs car il faut travailler très vite, que l'erreur est humaine.  
 
Par exemple, lorsque des choix d’invités sont reprochés, ces auditeurs et téléspectateurs ne savent pas forcément combien de personnes ont été appelées avant. De même, ils et elles n’ont pas connaissance de la nécessité de pondérer avec énormément de facteurs, comme : le fait de respecter sur les plateaux un équilibre homme-femme qui est crucial, un équilibre entre générations, un équilibre politique, et en même temps, d’avoir une véritable expertise. Il y a énormément de contraintes qui pèsent sur les médias, dont les gens n'ont pas connaissance.  

Un format qui serait intéressant d'un point de vue à la fois journalistique et même démocratique, en réalité, ce serait d'avoir un moment de responsabilité, au sens anglo-saxon du terme, franceinfo la développe sur la plateforme et le fait aussi dans les écoles et des forums. 
En tant que média, nous devons perpétuellement innover et nous adapter, suivre les aspirations de la société, dans les formats comme dans les sujets de fond à traiter. C’est un travail un constant et il y a évidemment beaucoup à faire. 
 
 
Propos recueillis par Manon OTTOU-GUILBAUD 
 

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