Le phénomène prend de l’ampleur. 5 millions de Français se connectent au moins une fois par mois sur Twitch, et près d’un million s’y rendent chaque jour, selon le rapport Internet de Médiamétrie de 2020.
Dans le même temps, les acteurs de l'audiovisuel subissent l'érosion de leur audience. Presse écrite, radio ou télévision : face au numérique, les médias traditionnels sont en difficulté. Le retentissement de Twitch les pousse alors, logiquement, à multiplier les initiatives. Certains n'ont d'ailleurs pas attendu le succès de la plateforme pour s'y lancer, bien avant leurs confrères.
Twitch, une nouvelle façon de diffuser l'information
Dès 2020, la chaîne franco-allemande Arte diffuse des streams réguliers. Leur premier grand succès sur la plateforme ? Leur émission dédiée aux jeux vidéo « Jour de Play », qui a vu le jour pendant le confinement. Avec plus de 550 000 vues cumulées, le pari est réussi. « Arte est arrivée sur Twitch à l’occasion d’une game jam - hackaton de jeux vidéo - organisée par la chaîne. Nous avions envie de partager des moments live pour restituer cet événement. Mais cela faisait déjà un petit moment que nous nous interrogions sur le fait d’aller sur Twitch, et nous avons constaté une accélération de la pratique du live. Nous avons été sensibles à ces signaux. » confie Marie Berthoumieu, chargée de programmes web au sein d’Arte, dans une interview au Centre national du cinéma et de l'image animée en 2021.
Ce succès a éveillé l'intérêt d'autres médias, qui, à leur tour, ont posé leurs valises sur la plateforme. France Télévisions a organisé son premier live Twitch en janvier 2021, en adaptant son format #OnVousRépond aux codes de ce nouveau canal. Pendant deux heures - en même plus car, désormais, nul besoin de rendre l'antenne -, le médecin Damien Mascret a répondu en direct aux questions des internautes sur les vaccins anti-Covid, au côté du journaliste Samuel Etienne, déjà rompu à l’exercice. En effet, le journaliste de France Info et présentateur de « Questions pour un champion » anime, depuis 2020, une revue de presse quotidienne sur sa chaîne personnelle. Avec plus de 15 000 viewers réguliers, son émission « La Matinée est tienne » bat des records d'audience, en se positionnant à la première place des streams français sur cette case horaire. « Je suis le premier surpris par ce succès », admet le journaliste dans une interview au Monde en janvier 2021. « Quand j’ai lancé ce projet, je l’ai fait pour mon petit plaisir à moi. Pour pouvoir m’exprimer librement et sans filtre. »
Le journaliste Samuel Etienne a ouvert la voie en 2020 avec sa revue de presse quotidienne « La Matinée est tienne » diffusée sur sa chaîne Twitch personnelle (capture @Samuel Etienne)
En bref, la liste des médias présents sur Twitch ne cesse de s’étoffer : Sciences et Avenir, Ouest-France, BFMTV… Rendez-vous quotidiens ou hebdomadaires, ces programmes proposent une nouvelle façon de partager l’information. Mais pas seulement. Le Drenche, par exemple, va plus loin dans son utilisation du média social. Le journal de débats organise chaque mois une conférence de rédaction sur Twitch. Les lecteurs participent au développement du journal, tant sur le fond que sur la forme : choix des sujets, du logo, définition des critères d’acceptation de la publicité… Ils deviennent de véritables ambassadeurs.
Sur un pied d'égalité
Plus qu’une nouvelle façon de diffuser l’information, Twitch apporte une nouvelle dimension dans le rapport des médias avec le public : l’interaction.
« Ce qui est important sur Twitch, c’est la proximité de l’animateur avec sa communauté. On casse la distance de la télévision, l’idée d’une information qui arrive d’en haut, on montre le côté humain. », explique Elise Colette, directrice adjointe au numérique à Public Sénat, à Stratégies. « La grande différence, c’est l’instantanéité, la spontanéité du dialogue. On répond directement aux gens, et ça change tout. » ajoute Edouard Reis-Carona, rédacteur en chef du numérique à Ouest-France. Cette proximité se doit notamment à l'une des grandes forces de la plateforme : le chat. Les internautes ne sont plus une simple audience, ils réagissent en direct. Le stream devient une expérience collective où animateur et public sont à égalité.
Interaction oblige, le ton est plus libéré que celui d’un plateau de télévision. « Twitch est construit sur cette idée de dialogue. On n’est pas sur quelque chose d’aussi cadré qu’en télévision, c’est un peu à la bonne franquette. C’est une forme différente de faire du journalisme. », explique Eléonore Gay, directrice adjointe de la rédaction de France Télévisions. Ainsi, plus que sur tout autre réseau social, c’est l’authenticité des échanges qui fait la réussite de Twitch.
Une co-construction de l’information en direct, un ton moins formaté et l’adoption de nouveaux canaux digitaux… Des armes indispensables pour reconquérir le jeune public. Car l’enjeu est de taille : seuls 38% des jeunes âgés de 18 à 24 ans déclarent s’intéresser à l’actualité, selon le 35e baromètre de confiance dans les médias de Kantar-La Croix 2022.
Les jeunes générations ne s’informent pas comme leurs aînés. Si elles boudent les médias traditionnels, elles investissent en revanche les médias digitaux : 66% des jeunes s’informent sur Internet, contre 26% par la télévision, selon le baromètre Kantar-La Croix. Twitch serait-il la clé ? La piste est prometteuse : 55% de l’audience de Twitch est âgée de 18 à 34 ans. En comparaison, l’âge moyen du téléspectateur est de 56 ans, selon une étude de Publicis Media en 2021.
« Les jeunes sont sur leur portable, il faut aller les chercher là où ils sont. » confiait Bruno Patino, président d’Arte, à Télérama en 2021. L’arrivée des médias traditionnels sur Twitch suggère la création de nouveaux formats. Et pour cause : animer un stream sur Twitch, ce n’est pas simplement changer le canal de diffusion d’une émission de télévision. La compréhension de la plateforme est de rigueur. « C’est important de bien comprendre la grammaire de ce support sans y coller notre point de vue de média. » insiste Gilles Freissinier, directeur du développement numérique d’Arte, dans un entretien avec Stratégies. « Il y a un juste milieu à trouver entre l’obligation de ne pas faire trop télévision et la nécessité de ne pas arriver en étant trop amateur. », précise Flore Galaud, rédactrice en chef adjoint de LCI en charge de la vidéo et de l’innovation digitale. C’est peut-être là tout l’enjeu pour les médias traditionnels : s’approprier les codes de Twitch pour trouver leur place dans ce nouvel espace d’interactivité.
Emma Alcaraz
