Le Média Du format court au format long : les médias face à la guerre de l'attention
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Du format court au format long : les médias face à la guerre de l'attention

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Convoitée par les médias, c’est une ressource précieuse mais surtout limitée. A l’ère de la numérisation de l’information, l’attention des publics est au cœur des stratégies de contenu des médias. Pour la capter, les médias tentent d’adapter leurs offres. Entre format court et format long : lequel sortira vainqueur de cette guerre de l’attention ? 

Du format court au format long : les médias face à la guerre de l'attention
guerre de l'attention
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Plébiscités par les jeunes, les médias investissent les réseaux sociaux. En ligne, les contenus respectent un certain format : stories Instagram de 15 secondes, vidéos TikTok entre 15 et 60 secondes, tweets limités à 280 caractères … Des formats courts, dits « snackables », facile à « grignoter », rapides et ludiques, avec comme objectif : retenir l’attention.  
 
Dans un article publié par Le Point intitulé « Brut, un média 100% vidéo qui cartonne chez les jeunes et à l'international », l’hebdomadaire raconte l’ascension fulgurante du média qui se démarque en proposant des vidéos au format court, de 1 à 2 minutes. Devenu un incontournable des médias en ligne, Brut cumule 2,8 millions de followers sur Instagram. Un pari, semble-t-il gagnant, qui suscite l’engouement des jeunes de 18 à 34 ans.  
 

Le phénomène de l’attention chez les jeunes  

En 2004, Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, parlait déjà de “vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola”.  Si ce phénomène traduit les modes de consommation des médias d’une génération, il est également le syndrome d’une époque ultra connectée. En effet, l’ère du numérique a transformé notre façon de consommer l’information : il ne s’agit de la recevoir, mais d’avoir l’attention nécessaire pour la capter. 
 
Et pour cause, depuis de nombreuses années, les médias sont victimes de cette « crise de l’attention ». Yves Citton, professeur de littérature et médias à l'université Paris 8, fait le lien avec l’arrivée d’Internet et l’omniprésence des écrans, dans un article du Parisien, en septembre 2020. Les nombreuses applications à portée de mains impactent durement la concentration. Pour Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche chez l’Inserm, « à chaque instant notre cerveau est bombardé de pensées et de signaux sensoriels qu’il ne peut pas tous traiter », déclare le spécialiste de l’attention, dans une interview donnée à Sciences et Avenir .  
 
D’ailleurs, une enquête du Centre National du livre révèle qu’en 2022, la moitié des jeunes interrogés déclarait faire autre chose pendant la lecture d’un livre : envoyer des messages, regarder les réseaux sociaux, ou visionner des vidéos. Cette tendance « multitâche » est surtout présente chez les jeunes de 20-25 ans.  
 

 Les médias traditionnels à l’épreuve 

 Si elle a entamé son déclin depuis longtemps, la chute de la presse papier s’est amplifiée avec la crise du Covid-19. En 2010, les tirages de la PQN et PQR était de 10197, contre 6 828 tirages en 2020, selon le ministère de la Culture. Les causes sont multiples : coût, numérisation et accès gratuit à l’information, nouveaux médias. Des mutations qui privent la presse écrite d’un public précieux, les jeunes, puisque 71% des 15-34 ans consultent quotidiennement l’actualité via les réseaux sociaux, d’après le rapport de juillet 2018. 
 
De la même façon, les chaînes d’information dites traditionnelles n’ont pas échappé à cette tendance. A l’exemple de TF1, dont les audiences n’ont cessé de faiblir, et ce, depuis l’arrivée de la TNT en 2005. Le 27 août 2002, le JT de 20H réunissait 8,4 millions en 2007 (Médiamétrie), contre 4,71 millions de téléspectateurs cette année. « Les audiences des chaînes de télévision sont vieillissantes, on le sait, plus de 60 ans en moyenne » indique Jean Massiet, streamer politique sur Twitch depuis 2015, à l’antenne de RMC il y a un an. Même si les chaines de télévision, et notamment les JT, restent des carrefours d'audience, selon lui, il faut accepter « le fait que les gens ne regardent plus la télévision. On ne prend plus la télécommande sur la table basse pour allumer la télé quand on rentre à la maison. Les jeunes sont sur leur téléphone portable, leur ordinateur, et les réseaux sociaux. » 
 

La tentative des formats raccourcis pour retenir l'attention

Face à ce constat, des initiatives ont donc vu le jour. Les médias basculent sur les réseaux sociaux et compressent leur contenu 
 
 Plusieurs médias ont emboité le pas. Arte, par exemple, a entamé sa transformation et s’est fraie un chemin dans le cœur des jeunes, avec des contenus diffusés sur Youtube, Twitch et TikTok.Les jeunes sont sur leur portable, il faut aller les chercher là où ils sont explique Bruno Patino, président de la chaîne, dans une interview relayée par Télérama, en août 2021. La liste des médias présents sur les réseaux sociaux ne cesse de s’étoffer : TF1, France 24, BFMTV… et proposent un nouveau format pour partager l’information. L’objectif de ces chaînes est l’élargissement et le rajeunissement du public. 
 
Par ailleurs, même certains médias diffuseurs de sport se posent la question des formats et de l’attention chez les jeunes. La “génération Z” (âgée 13 à 23 ans) consommerait deux fois moins de sport que les Millenials, d’après une étude de Morning Consult aux Etats-Unis, en septembre 2020. Dans un article publié sur le site So Foot intitulé « les jeunes ne regardent plus le football ? la bonne excuse », le spécialiste du sport Pierre Rondeau revient sur le propos de Florentino Pérez, président du Real Madrid : « les jeunes jouent aux jeux vidéo, n’ont plus l’habitude de regarder un match en entier et s’y ennuient, c’est une nécessité absolue de s’adapter à eux ». Récemment, le footballeur retraité Gérard Piqué a fait la polémique en déclarant vouloir « révolutionner » le football, d’après un article publié le site internet de BFMTV. Lors d’un échange avec le streamer espagnol Ibai Llanos sur Twitch, il déclare que le jeune public ne tiendrait pas un match entier sans utiliser leur téléphone. « 90 minutes, ça me paraît long. (…) Cherchons donc des règles plus divertissantes. »  

 

De la saturation aux longs formats

Pour autant, dans cette époque hyper connectée, les petits formats ont créé de nouveaux maux. Le ressenti d’une surcharge informationnelle a un incident sur la capacité de concentration et l’état de fatigue des individus. 73% des Français ont le sentiment qu’il y a trop d’informations et d’être submergé, selon une étude de l’Ifop pour Flint, en 2021.  
 
Conscients de ce ras le bol des publics, certains médias mettent donc en place des alternatives. Le slow journalism, concept qui vise à redonner de la perspective aux contenus journalistiques et de l’intérêt aux lecteurs. « C’est plus que de la lecture, c’est de l’immersion », décrit Amélie Mougey, rédactrice en chef de la Revue Dessinée, dans la Revue des Médias. L’objectif : reprendre le goût des longs formats en mettant en avant la qualité d’un contenu.  
  
D’autres médias en ligne, adeptes du snack content, se dirigent ainsi vers des formats plus longs, à l’image du média Brut. Celui-ci a récemment lancé sa plateforme de streaming Brut X. Leur objectif ? Proposer des contenus plus longs pour « raconter des histoires avec du sens et de l’engagement », déclare Guillaume Lacroix, PDG de Brut, sur Franceinfo en 2021.Sur cette plateforme, pas de vidéos chronométrées, mais des courts métrages, des documentaires, et des films. 
  
En parallèle, le succès fulgurant des podcasts pourrait traduire une volonté de changement dans les formats. Sur le mois d’août, L'ACPM constate une augmentation de 19% des écoutes de podcast, par rapport 2021. Parmi les 10,7 millions de podcasts téléchargés en France, on compte 32% d’auditeurs sur la population âgée de 18-64 ans, selon la dernière étude de l’Institut CSA avec Havas Paris. « Le podcast est un format qui permet de rompre avec la surcharge informationnelle », indique Emmanuelle Henry, directrice des Etudes et de la Prospective de Radio France, dans une interview donnée à Médiamétrie, en 2020.  

 

En bref, aucun format ne semble s’imposer, à ce jour, en tant que solution miracle. Les nombreuses tentatives des médias transforment davantage cette « guerre de l’attention », en guerre d’usure et d’innovation.  


Randa El Fekih