Le Média Journalisme de solutions : « Les lecteurs demandent moins d’infos anxiogènes et plus de bonnes nouvelles. » – Gilles Vanderpooten (Reporters d’Espoirs)
Interview

Journalisme de solutions : « Les lecteurs demandent moins d’infos anxiogènes et plus de bonnes nouvelles. » – Gilles Vanderpooten (Reporters d’Espoirs)

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« Reporters d’Espoirs » fête ses 20 ans ! Depuis 2004, l’association, pionnière du journalisme de solutions, en est aussi devenue le fer de lance. Tel un contre-pied aux « mauvaises nouvelles », ce genre journalistique entend mettre en lumière des initiatives innovantes et concrètes, face aux problèmes existants. Deux décennies plus tard, arrive l’heure du bilan : quelle place le journalisme de solutions occupe-t-il désormais dans les habitudes médiatiques ? Quelles sont ses perspectives d’évolution ? Réponse avec Gilles Vanderpooten, directeur de l’association depuis 2015.  

Journalisme de solutions : « Les lecteurs demandent moins d’infos anxiogènes et plus de bonnes nouvelles. » – Gilles Vanderpooten (Reporters d’Espoirs)
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Le journalisme de solutions semble assez difficile à caractériser, car chacun semble avoir sa perception du sujet. Quelle serait votre définition ?
 
Nous parlons d’un journalisme à spectre large, qui embrasse les difficultés et les problèmes du monde tels qu’ils sont. Mais à la différence du journalisme plus traditionnel, le journalisme de solutions va aller un cran plus loin, en se demandant s’il existe des personnes, des organisations, qui se mettent en mouvement pour apporter des réponses là où il y a des problèmes. Je définirais donc simplement ce genre journalistique par le fait qu’il implique non seulement d’investiguer, d’analyser mais surtout de diffuser la connaissance de réponses aux problèmes existants. 
 
Quelle a été la genèse de cette mouvance et s’est-elle construite en réaction à un journalisme traditionnel ?  
 
Les racines sont positives.Tout a commencé grâce à Marie-Hélène et Laurent de Cherisey, respectivement journaliste et communicant, partis à la rencontre de personnes en difficulté dans des pays en voie de développement, frappés par la déforestation, la désertification et des difficultés d’accès à l’eau, à l’éducation... Au fil de leurs pérégrinations, ils ont rencontré ce qu’ils ont appelé des « passeurs d’espoirs », en d’autres termes : des personnes à même de trouver des réponses innovantes à leurs problèmes, parfois aidés par des ONG ou des entreprises. Tous deux se sont demandé pourquoi, dans leurs métiers, les pays en voie de développement étaient systématiquement traités sous l’angle du pire, de la catastrophe, sans mettre en avant la résilience de ces personnes-là. Raison pour laquelle ils ont créé le Prix Reporters d’Espoirs visant à mettre ces derniers à l’honneur. Une façon également de donner envie à d’autres de s’engager à leur tour dans une dynamique de solutions. 
Quand je suis arrivé à la rédaction en 2015, j’ai souhaité apporter un cadre méthodologique à ce journalisme, afin de structurer le mouvement et de rassurer les journalistes moins réceptifs à ce nouveau genre.  
 
Justement, sur quelle méthode le journalisme de solutions repose-t-il concrètement ?  
 
Aux cinq questions traditionnelles que se pose un journaliste lorsqu’il choisit un sujet – Qui ? Quoi ? Où ? Comment ? Pourquoi ? –, nous en ajoutons une sixième : « Et maintenant quelle réponse à apporter ? » Mais au-delà de cela, il faut interroger le contexte dans lequel apparaît cette solution, la validité du problème auquel elle répond, mais aussi questionner son impact avec des données qualitatives ou quantitatives. Ensuite, il s’agit d’apporter un recul critique, afin de ne pas tomber dans le panégyrique d’une initiative, au risque de tomber dans la communication ou le marketing. Cela étant, cette méthode reste un idéal, car dans la réalité, certains journalistes n’ont pas toujours le temps d’aller jusqu’au bout de l’investigation. 
 
Au départ, « Reporters d’Espoirs » se limitait à la vente de ses reportages. Avant d’évoluer progressivement vers un modèle associatif. Comment vos activités se répartissent-elles désormais ?  
 
Notre action s’articule aujourd’hui autour de trois piliers. Nous avons tout d’abord ce que nous appelons « Le Lab ». Nous y produisons des analyses, des cas d’étude, des interviews de professionnels de médias et parfois de porteurs d’initiatives, et tous ces travaux sont enrichis par nos rencontres avec des journalistes. « Le Plus » fait partie du « Lab », c’est notre boîte à outils. Il s’agit simplement d’une plateforme sur laquelle nous republions des reportages qui correspondent aux critères du journalisme de solutions. 

Nous organisons ensuite des Prix, tels que le Prix Reporters d’Espoirs, qui récompensent les journalistes pour leur sujet traité sous l’angle « problèmes + solutions ». 
 
Enfin, nous avons une revue annuelle, composée d’articles mais aussi d’analyses, d’interviews croisées de journalistes et de scientifiques, d’articles sur l’éducation aux médias… A une époque, nous étions même une agence de production éditoriale pour des médias. C’est ainsi qu’en 2007, nous avions créé « Le Libé des solutions » avec Libération. Au départ, nos équipes produisaient 70% du journal. Aujourd’hui, la rédaction l’a parfaitement intégré et n’a donc plus besoin de nous. Notre objectif, c’est de diffuser la méthode.
 
Pourriez-vous nous donner un exemple d’article de solutions ?  
 
Dans notre dernière revue, un article du Figaro explique comment la biodiversité a retrouvé sa place dans le parc national des Virunga en République démocratique du Congo. Les journalistes analysent les raisons pour lesquelles les éléphants retournent dans ce parc national, qu’ils avaient quitté un demi-siècle auparavant, notamment en mettant en avant les initiatives humaines qui ont favorisé ce retour.  
Je peux également vous citer cet article qu’on avait écrit sur l’initiative d’une citoyenne qui s’appelait Véronique Pommier et qui avait créé le « bus des curiosités », pour rendre plus accessible l’offre culturelle des villes à des personnes issues de zones rurales. Ce reportage, réalisé pour Version Femina, lui avait valu d’être recontactée trois jours plus tard par de nombreuses rédactions. En définitive, son initiative avait fait l’objet d’une dizaine d’articles et de reportages dans la presse. 
 
Vous vous êtes récemment associés au CLEMI, afin de distribuer des kits pédagogiques aux professeurs, relatifs au journalisme de solutions. Dans quel but ?  
Nous avons souhaité nous tourner vers l’éducation aux médias, via la distribution de ce kit à des professeurs. Notre objectif est de toucher 2000 enseignants par an, ce qui représente jusqu’à 200 000 élèves. Ce sont des propositions d’ateliers, de cours, pour que les professeurs, lorsqu’ils abordent l’éducation aux médias, puissent implémenter aussi des réflexes en termes de journalismes de solutions. Dans ces cours d’EMI (Educations aux Médias et à l’Information), c’est surtout la lutte contre les « fake news » qui est abordée. Mais pour inciter les jeunes à s’informer, il fallait aller plus loin, les lancer sur des sujets plus constructifs. Le journalisme de solutions leur permet d’apprendre les techniques journalistiques, tout en exerçant leur curiosité sur des initiatives propres à leurs territoires.  
 
Vous avez donc, via vos actions, la volonté de façonner des habitudes médiatiques : qu’est-ce qui permet de dire factuellement que le journalisme de solutions est une réussite et qu’il arrive à s’implanter dans les usages médiatiques ? 
 
Nous souhaitons organiser une grande étude sur l’impact du journalisme de solutions, aussi bien d’un point de vue économique que d’audience. Pour l’instant, nous ne disposons que d’informations éparses que nous livrent les médias : le « Libé des solutions », a représenté 22% de plus de vente au numéro. Pour Ouest-France, l’augmentation se chiffre à 7-8%... Le Monde nous a indiqué qu’un article de solutions générait en moyenne 19 achats, ce qui est plus élevé que la moyenne des articles classiques. Ce que nous montrent toutes les études, c’est que les lecteurs demandent moins d’infos anxiogènes et plus de bonnes nouvelles. Mais il faudrait aller plus loin. Cette grande étude viendrait donc nous donner des données concrètes pour que l’on puisse avoir une idée plus affinée de l’impact du journalisme de solutions.  
 
Justement, selon vous, comment expliquer ce paradoxe entre cette volonté affichée par les citoyens d’aller vers des nouvelles positives, et la réalité d’une information anxiogène, qui semble réaliser davantage d’audience ?  
 
Il me semble que c’est ainsi depuis toujours. Si l’on regarde le film Illusions Perdues, tiré du roman d’Honoré de Balzac, et même si le trait est forcé, on voit bien que ce qui attire, c’est le drame, le « clash ». Il y a tout un imaginaire autour du métier de journaliste, qui fait que beaucoup d’entre nous allons vers ce métier, parce que nous souhaitons aller à la rencontre des gens qui souffrent, là où il y a des problèmes. Il me semble qu’aujourd’hui, nous avons tout de même fait du chemin. 
Quant au paradoxe, il est vrai que le journalisme de solutions reste mineur dans la production globale, qu’il rassemble moins de lecteurs. Dans notre époque caractérisée par le règne du clic, peut-être devrions-nous réfléchir à mettre des titres un peu plus aguicheurs pour nos reportages. 
Oui, c’est évident, il y a une ambiguïté. Nous constatons, via les études, qu’il existe une attente envers une information plus positive. Mais les comportements de consommation du contenu ne suivent pas. Comme pour tout, c’est lié à la loi de l’offre et de la demande. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui il y a moins de volume produit que cela n’intéresse pas les gens.  
 
Selon vous, le journalisme de solutions a-t-il pour ambition de fusionner, à terme, avec le journalisme traditionnel ? Ou au contraire, souhaitez-vous que les deux types de journalismes coexistent et que ce soit aux citoyens de changer leurs habitudes médiatiques ?  
 
A mes yeux, il y a deux étapes. La première est la création d’une rubrique journalisme de solutions pour un journal. Cela montre que ledit journal est à l’écoute du public qui souhaite des informations plus positives et c’est aussi intéressant pour le média au niveau commercial. Mais par la suite, je trouve cela plus intéressant en effet que le journalisme de solutions aille infuser un peu partout et qu’il finisse par habiter la majorité des articles. 
 
Propos recueillis par Cléophée Baylaucq.  
 

        

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