Le Média Kati Bremme : « L’innovation technologique doit toujours être au service du récit. »
Interview

Kati Bremme : « L’innovation technologique doit toujours être au service du récit. »

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Kati Bremme : « L’innovation technologique doit toujours être au service du récit. »
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Elles investissent les rédactions. Les nouvelles technologies font, petit à petit, leur arrivée au sein des médias : intelligence artificielle, réalité augmentée, 3D... pour ne citer qu'elles. Comment ces innovations technologiques servent-elles l'information ? Entretien avec Kati Bremme, Innovation Manager à France Télévisions et rédactrice en chef de Méta-Media, le blog de veille et de prospective sur l’avenir des médias et du journalisme.

Les innovations technologiques font, progressivement, leur apparition au sein des rédactions depuis quelques années. Quels changements induisent-elles dans les pratiques journalistiques ?

Les nouvelles technologies, comme l'IA, sont utilisées par le journaliste en tant qu’outil. On ne les utilise pas pour remplacer le métier de journaliste, mais en tant qu’outil qui permet aux journalistes de libérer du temps pour justement travailler sur des éléments plus poussés, pour mener plus d’enquêtes, pour faire plus d’analyses. L'IA permet, par exemple, d'analyser de grandes masses de données. Le travail du journaliste est, ensuite, de prendre toutes ces idées, de les analyser et d’en faire un papier avec son interprétation, une remise dans le contexte – ce dont l’intelligence artificielle n’est pas capable.

Les nouveaux outils d’analyse automatique ont ajouté un autre aspect dans le travail des journalistes : se rendre un peu plus compte du profil des lecteurs. Quand il n’y avait pas encore d'intelligence artificielle et les renseignements des usages sur les réseaux sociaux, un journaliste pouvait écrire un papier sans penser à la personne qui peut le lire. Aujourd’hui, grâce aux données récoltées, on a l’information complète sur nos utilisateurs. Les journalistes sont de plus en plus sensibilisés à la cible à laquelle ils s’adressent.

Vous parlez de « sensibilisation des journalistes aux cibles ». Cette volonté de se rapprocher des lecteurs s’inscrit-elle dans un besoin de faire face à leur défiance ? En référence au 35e baromètre de Kantar-La Croix : seuls 49% des Français font confiance aux médias, c’est-à-dire à peine la moitié. L’innovation technologique est-elle une solution pour rétablir la confiance ?

Effectivement, il faut que la technologie devienne un outil pour rétablir la confiance. Nous sommes dans une tendance vraiment globale : la confiance dans les institutions s’efface partout, les médias en souffrent aussi. Les nouveaux outils peuvent nous aider à reconquérir la confiance, en les utilisant à bon escient. C'est-à-dire en allant vers le public, en comprenant mieux ses besoins et en ciblant peut-être un peu mieux les contenus, en allant peut-être un peu plus dans cette tendance de personnalisation sans tomber dans le travers des bulles de filtres. Il y a ce dilemme-là aujourd’hui dans les rédactions : comment s'adresser au public en satisfaisant à la fois le besoin d’une information globale et le besoin de s’adresser plus particulièrement à différentes tranches de la population ? Les outils technologiques peuvent nous aider parce qu’on est capable de fabriquer plus facilement plus de contenus en les ciblant mieux, ou encore, avec les technologies d’AR et VR, de créer des récits immersifs qui permettent de mieux comprendre les faits. Mais la technologie n’est pas la seule solution au problème. La réponse passe aussi en intégrant le public dans la co-construction de l’information, en prenant en compte ce qu’il pense et en lui donnant un moyen de s’exprimer. Les médias – et plus particulièrement encore les médias du service public – doivent être une plateforme d’expression démocratique et pas juste un outil d’information descendante.

Qu’apportent les innovations technologiques aux contenus d’information ?

Les innovations technologiques offrent la possibilité de mieux comprendre le monde qui nous entoure, parce que l'on est face à beaucoup plus d’informations qui nous parviennent de l’extérieur et que l'on arrive à capter des tendances que l'on n'apercevait pas forcément avant. On était plutôt dans une information très descendante et maintenant avec les outils technologiques on peut davantage prendre en compte le monde extérieur et réagir plus vite, de façon plus profonde et plus contextualisée parce que l'on peut avoir une vision assez large des choses. Si on prend l’exemple concret du conflit en Russie, on n’a pas forcément des ressources russophones dans la rédaction ; en revanche, aujourd’hui, avec la traduction automatique qui est très avancée, on peut facilement consulter des articles sur la presse nationale russe qui reflète la vision que veut diffuser Vladimir Poutine auprès de sa population et qui aide les journalistes à mieux comprendre ce qui se passe réellement en Russie, et donc ajouter à notre vision à nous - très européenne - une perception et une compréhension de cette réalité de l’autre côté, ce qui nous permet réellement de contextualiser les choses et de traiter un sujet sous tous ses aspects. La traduction automatique nous permet aussi d’échanger facilement des articles entre rédactions européennes, dans le cadre du projet « Vu d’Europe » par exemple.

De manière générale, comment l’innovation technologique des médias est-elle perçue par les journalistes ?

Concernant l’accueil de ces nouveaux outils dans les rédactions, il est plutôt positif. À France Télévisions, nous avons l'entité France Télévisions Université qui accompagne cette transformation des métiers en amont par de la sensibilisation, par de l’acculturation. Nous avons "attaqué" le sujet par des cas d’usages concrets et non par la technologie, pour montrer ce que l'on peut concrètement faire avec les nouvelles technologies et en quoi elles peuvent aider les journalistes. Nous avons partagé les nouveaux usages liés aux nouvelles technologies dans des conférences et des ateliers pratiques. Il y a forcément toujours, au départ de l’introduction des nouvelles technologies, une certaine peur du nouveau, un certain recul pour se lancer. On observe également une différence de perceptions parmi les différentes générations. S'il s'agit d'outils que quelqu’un utilise déjà dans sa vie quotidienne, ils sont plus facilement acceptés dans le contexte professionnel. Mais en accompagnant les journalistes, notamment avec notre structure du MediaLab de l’Information, je pense que l'on a trouvé une vision intéressante. Les journalistes commencent de plus en plus à utiliser les nouvelles technologies et à les voir comme des outils qui facilitent leur travail et leur font gagner du temps d’un côté, et qui peuvent enrichir le récit de l’autre côté.

Finalement, l’innovation technologique est-elle indispensable ?

L’innovation est incontournable parce que le monde change, parce que les technologies évoluent et parce que le public s’attend à de nouveaux formats et à de nouveaux services. L’innovation technologique doit toujours être au service des utilisateurs et ne doit pas juste servir à tester les nouvelles technologies en tant que technologie, elles doivent toujours être au service du récit. Toutes les rédactions sont capables d’innover. On n’est pas obligé de mettre en place un système hyper-sophistiqué d’intelligence artificielle pour innover dans une rédaction. Autour de l’innovation, ce qui est intéressant, c’est de collaborer, de créer des partenariats et c’est de co-construire entre les rédactions, nous associer à des chercheurs, à des écoles… Pour partager l’effort d’innovation et être le plus pertinent possible auprès de nos publics.

Propos recueillis par Emma Alcaraz.

  

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