Le Média Polémique Body Minute sur TikTok : décryptage d’une communication de crise en ligne 
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Polémique Body Minute sur TikTok : décryptage d’une communication de crise en ligne 

Bonnes pratiques Réseaux Sociaux

Depuis des mois, l'enseigne tente en vain de faire retirer une vidéo publiée sur TikTok par la créatrice de contenu, Laurène Lévy. La polémique est telle, qu’elle prend désormais une tournure judiciaire. Olivier Cimelière, auteur du Blog du Communicant et consultant en communication, analyse pour MediaConnect, cette communication de crise hors du commun.  

Polémique Body Minute sur TikTok : décryptage d’une communication de crise en ligne 
Polémique Body Minute sur TikTok : décryptage d’une communication de crise en ligne 
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Les semaines passent, mais la polémique ne désenfle pas. Leader de l’esthétique sans rendez-vous à prix cassé, l’enseigne Body Minute, fondée par Jean-Christophe David, fait parler d’elle sur TikTok. Pour des raisons surprenantes : la chaîne d’instituts de beauté a choisi de s’y exprimer en son nom pour reprocher à l’influenceuse, Laurène Lévy, d'avoir publié une vidéo parodique se moquant de ses esthéticiennes. Comme dans un feuilleton moderne, les internautes, assistent sidérés à ce règlement de compte en ligne.   
 
Tout commence le 26 octobre 2022, lorsque Laurène Lévy, créatrice de contenu, publie sur TikTok une vidéo parodique. Inspiré de ses passages dans les instituts Body Minute, le « POV » (point of view) de la jeune femme imite une praticienne peu scrupuleuse. La vidéo n’obtient que 30 000 vues et provoque peu de réactions.  
 
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Cependant, le PDG, fils du célèbre coiffeur Jean-Louis David, ne perçoit pas la vidéo humoristique du même œil et entend bien la faire retirer. Et pour cause : celle-ci apparait en tête des contenus associés à l'hashtag de la marque. Huissiers, mise en demeure et assignation en justice : Jean-Christophe David déploie tous les moyens possibles pour faire disparaitre le TikTok. C’en est trop pour la créatrice de contenu qui alerte sa communauté des diverses procédures enclenchées par Body Minute. Elle révèle également les menaces de mort et de viols reçues sur sa boite mail. Scandalisée, toute la communauté TikTok se mobilise. Des dizaines de vidéos dénoncent alors les méthodes de l’entreprise via le #BodyMinute, auxquelles s’ajoutent de nombreux témoignages de clientes mécontentes.  
 
Malgré la multiplication des vidéos promotionnelles de l’enseigne, la vidéo moqueuse de l’influenceuse conserve la première place du #BodyMinute. "On n'est pas maître de son hashtag, il est jeté à la vindicte publique !", déplore alors Jean-Christophe David, dans un entretien à l’AFP mi-janvier. « C’est le principe même du hashtag, personne n’en est propriétaire. Ce signe permet aux gens d’entrer en interaction avec d’autres personnes intéressées par le même sujet, rappelle Olivier Cimelière. Même si un hashtag est associé à votre marque, juridiquement, cela n'a pas de valeur ! » Le communicant conseille plutôt de « reprendre à son compte le mot-dièse pour s’immiscer dans les conversations et ainsi faire valoir son point de vue de façon constructive. »  
 

« Effet Streisand »  

Pourtant, des conseils de communication, le patron de Body Minute en a bien eu. « Les agences spécialisées TikTok m'ont toutes appelé - j'en ai pris trois en deux ans - et m'ont dit “vous allez voir, on va la faire baisser.” Ça m'a coûté 300.000 balles ! », affirme le PDG toujours auprès de l’AFP. « En crise, la mobilisation est quasiment continue, les frais deviennent alors tout de suite très importants, » explique le communicant, Olivier Cimelière. « Solliciter une agence est un bon réflexe, surtout si on n’a pas de cellule de communication intégrée. Mais encore faut-il être en mesure d'écouter ce qu'elle vous conseille, » explique celui qui est également consultant en communication de crise. Pratique surprenante, le fondateur de Body Minute signe ses commentaires par ses initiales « JCD » sur le compte officiel de l’entreprise. « Je doute que des communicants lui ait conseillé sa stratégie actuelle. »  
 
« Cette affaire est un cas d’école de tout ce qu’il ne faut absolument pas faire en communication », poursuit l’auteur du Blog du communicant. En tentant par tous les moyens de faire retirer la vidéo, Jean-Christophe David semble avoir déclenché un véritable « effet Streisand », terme inspiré de la chanteuse Barbara Steisand pour illustrer une tentative de censure d’un contenu menant finalement à la propagation exponentielle de celui-ci. Car aujourd’hui, « l’affaire Body Minute » fait bien plus de bruit que la vidéo parodique à l’origine du conflit. Et le TikTok de Laurène Lévy figure toujours à la première place du #BodyMinute avec désormais plus de 1,4M de vues. Le #BodyMinute migre même vers les autres plateformes sociales, où il est majoritairement utilisé pour défendre la jeune femme.   
 
Notamment sur Instagram, où @balancetonagency relève des éléments supplémentaires concernant le patron de la marque. En octobre 2024, Jean-Christophe David aurait été accusé de sexisme par une cliente, indignée par un éditorial sur l’épilation publié dans un livret publicitaire. Le 29 novembre 2024, le jury de déontologie publicitaire tranche en faveur de la plaignante : l’éditorial, distribué en institut, réduit effectivement les femmes à un rôle d’objet.  
 

Une stratégie assumée  

Jean-Christophe David a-t-il sous-estimé le pouvoir des réseaux sociaux sur la réputation d’une entreprise ? Pas seulement, selon Olivier Cimelière : « Ne pas prendre la mesure des réseaux en tant que société aussi grand public est presque suicidaire pour la marquemais il faut également regarder les plateformes de consommateurs qui donnent une idée de la température réputationnelle. » Sur la plus connue, TrustPilot, Body Minute affiche la note de 2,3 points sur 5. La vidéo parodique de Laurène Levy sur sa propre expérience semble résonner avec de nombreuses plaintes, parfois très sévères. Des témoignages dont la véracité a été remise en question par la directrice générale de Body Minute, Fabienne Eckerlein, auprès du Parisien.   
 
Dans le cas de Body Minute, Olivier Cimelière préconise deux approches de communication de crise en réponse à la publication du « POV » satirique de Laurène Lévy. La première, la plus simple selon lui : « Ignorer totalement la vidéo et la laisser disparaitre dans les serveurs de TikTok. » Ou la seconde : « Désamorcer les tensions en collaborant avec l’influenceuse pour reconnaître ses torts et promettre de mieux faire, ou encore opter pour une réponse humoristique afin de dédramatiser. »   
 
Quant à la démarche à suivre face aux révélations publiques de l’influenceuse sur les méthodes de l’enseigne, le communicant ne voit qu’une solution : « S’excuser et mettre immédiatement fin aux pratiques incriminées, tout en reconnaissant une réaction à chaud. Il s’agirait d’expliquer en quoi la réputation des esthéticiennes a été atteinte et de prendre des mesures pour rétablir la situation, pourquoi pas en faisant un geste symbolique, comme offrir un bon cadeau à Laurène Lévy. »  
 
Pour l’instant, Jean-Christophe David semble garder le cap : il ne cédera pas tant que l’influenceuse ne retirera pas sa vidéo. « (...) Nous sommes prêtes à faire un pas envers elle (Laurène Lévy) en retirant nos poursuites et nos vidéos, mais nous souhaitons qu'elle comprenne et entende notre demande de retirer ses vidéos de Body Minute (…), » écrit l’entreprise dans un récent communiqué publié sur TikTok. Dans une autre vidéo, la marque dément même être impliquée dans un bad buzz et vante les millions de vues récoltées sur son compte. « Face à un scandale, que vous n’avez pas provoqué, mais largement alimenté, il vaut mieux faire le dos rond, s'excuser et passer à autre chose », considère Olivier Cimelière.   
 
De son côté, l’influenceuse déclare n’avoir rien fait d’illégal et déplore l’ampleur prise par cette affaire.
 
 

   

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