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Dans les coulisses du datajournalisme : quels liens avec les relations presse ?

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Collecte, traitement, visualisation des données… le datajournalisme s’est imposé dans les rédactions avec des formats interactifs toujours plus nombreux. MediaConnect a rencontré trois datajournalistes pour comprendre leur quotidien, leurs méthodes de travail et leurs attentes vis-à-vis des relations presse. Décryptage d’un métier à la croisée du journalisme et de la donnée. 

Dans les coulisses du datajournalisme : quels liens avec les relations presse ?
Dans les coulisses du datajournalisme en France : comment les journalistes travaillent avec les relations presse
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Un simulateur permettant de comparer les prix de cinquante produits au moment du Black Friday (Le Parisien). Des infographies pour décrypter l’évolution des gouvernements depuis 2017, jusqu’à celui de Sébastien Lecornu (franceinfo.fr). Ou encore, une carte interactive afin de connaitre les polluants présents dans l’eau potable en fonction des territoires (Le Monde).  

Voilà autant de contenus rendus possibles grâce au travail d’un datajournaliste. Même si cette pratique est ancienne, elle s’est développée dans les rédactions au milieu des années 2000, avec la révolution numérique et l’avènement de l’open data (données en libre accès). En mettant leurs compétences techniques et journalistiques au service de leurs lecteurs, ils parviennent à produire des formats interactifs de plus en plus aboutis. 

Pour comprendre les spécificités de ce métier au sein des titres nationaux français, mais aussi leur quotidien et leur rapport aux relations presse, Victor Alexandre (Le Parisien), Mathieu Lehot-Couette (franceinfo.fr) et Raphaëlle Aubert (Le Monde) partagent leur expérience.  

 

Datajournalistes : entre analyse des données et travail journalistique 


En se prêtant à l’exercice de définition de la fonction, Victor Alexandre, datajournaliste au Parisien, résume ainsi : « Nous sommes des journalistes comme les autres, mais au lieu d’interviewer des personnes, nous interrogeons des bases de données. »  

Mathieu Lehot-Couette, datajournaliste pour franceinfo.fr, détaille deux cas de figure dans son quotidien. « La donnée peut être la finalité du sujet. Par exemple, si nous souhaitons produire une carte représentant la taille des armées de chaque pays en Europe, je vais aller chercher les données afin de réaliser cette carte. Mais parfois, elle permet de mener l’enquête et de faire émerger un sujet. Par exemple, à partir d’une base de données sur les éclairages de nuit dans les villes, je peux voir l’évolution des communes ayant choisi d’éteindre la lumière et l’associer à leur couleur politique pour interroger la corrélation entre les deux. »   

Ces exemples illustrent la diversité des missions des datajournalistes, variant selon l’organisation interne des rédactions. D’un côté, au Parisien, la cellule data est au service des journalistes, de l’autre, à franceinfo.fr, elle prend l’initiative des sujets. Au Monde, la datajournaliste Raphaëlle Aubert est intégrée dans la boucle dès le début d’un projet la plupart du temps : « Ce qui me plaît beaucoup, c'est de pouvoir initier mes propres sujets ou contribuer à des enquêtes. En cas de collaboration avec d'autres services, il nous arrive d'être dans une logique de commande, mais cela reste exceptionnel. »  

Leur rôle, c’est aussi de « visualiser les données pour aider les lecteurs et lectrices à se les approprier, car elles sont parfois très complexes », rappelle celle qui travaille aux Décodeurs. Pour cela, ils collaborent avec la direction artistique numérique sur le design et la narration visuelle. 

 

Le rôle éditorial du datajournalisme dans les rédactions françaises 


Au même titre que les autres spécialités de la rédaction, les datajournalistes déterminent leurs sujets en fonction du cycle de l’actualité et des appétences de leurs lecteurs. La donnée peut être utile « pour de l’enquête, pour du fact-checking, mais aussi pour du serviciel » explique Raphaëlle Aubert, « nous travaillons souvent en collectif : au sein des Décodeurs, avec d'autres services du journal, ou même d'autres médias dans le cadre de collaborations transfrontalières. » 

En effet, toutes les thématiques sont concernées. « Nous avons la chance de pouvoir traiter l’ensemble des sujets de la rédaction », abonde Victor Alexandre, « par exemple, le score du RN dans les villes de plus de 10 000 habitants, les tirs d’Ousmane Dembélé, ou encore le rapport entre bourgeois de centre-ville et narcotrafic. » Traiter un sujet au prisme des datas permet « d’amener de la nuance sur le sujet » selon Mathieu Leflot-Couette. « Dans le flot continu d’informations, fatiguant pour le lecteur, nous leur offrons un moment pour souffler avec des éléments très factuels. Ces formats leur permettent de prendre le temps d’aller au fond des choses. »  

Mais les données restent une source comme une autre : leur traitement répond donc aux mêmes exigences de vérification. « Il n’y a rien de pire pour quelqu’un d’ouvrir son journal et de lire une affirmation qui contredit son ressenti. » analyse Victor Alexandre. « Par exemple, dire à un lecteur que sa communauté d’agglomération n’est pas un désert médical alors qu’il cherche un rendez-vous avec un chirurgien depuis des mois pose problème. Le travail de mise en contexte est donc nécessaire. » Les journalistes spécialisés dans la donnée portent ainsi une responsabilité particulière dans leur utilisation.

  

Datajournalisme et relations presse : une collaboration sous conditions  


Outre leur intuition et leur expertise de terrain, les datajournalistes puisent leurs informations auprès des administrations, des entreprises publiques et des organismes producteurs de données ouvertes. Ils utilisent par exemple les bases de l’INSEE, d’Eurostat, de l’Office français sur les drogues et les dépendances, de Transfermarkt, ou encore de Météo France et de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière). Mais parmi toutes ces sources, quelle est la place des communiqués de presse ?  

« Je reçois beaucoup de communiqués de presse par mail. Malheureusement, en général, ils ne sont pas pertinents pour moi. C’est donc très rare que je m’en saisisse. » déplore Raphaëlle Aubert. Elle nuance cependant : « Il peut nous arriver de considérer des études faites par des entreprises privées si les données brutes sont partagées et nous paraissent intéressantes. » Pour que ces éléments soient utiles aux datajournalistes, il faut respecter leurs contraintes. De la même façon qu’un journaliste vérifie un témoignage, ils doivent vérifier les conclusions portées par un organisme. « Recevoir un PDF sans lien d’accès aux données sources est particulièrement frustrant », explique Victor Alexandre, « il faut être le plus transparent possible, avec des données robustes. Nous citerons la marque qui nous envoie le CP seulement si elle nous apporte quelque chose de nouveau. »  

 

Ce que les datajournalistes attendent des relations presse 


Mais, dans la pratique des relations presse, les sollicitations émanant directement des communicants restent marginales. Le plus souvent, ce sont les journalistes eux-mêmes qui approchent les entreprises en quête de données. Pour Mathieu Lehot-Couette, les contacts sont souvent compliqués. « Les services RP sont habitués à organiser des interviews ou à apporter des précisions sur un sujet. Lorsqu’on leur demande des données, la réponse peut être assez déceptive. » Cela dépend de la « capacité de partage des acteurs » pour Raphaëlle Aubert. « Nous savons que la donnée a parfois une valeur stratégique, qui la rend donc difficile à partager. Mais nous défendons une logique de transparence. »  

La demande la plus fréquente des datajournalistes adressée aux entreprises consiste à être mis en relation avec des interlocuteurs techniques capables de fournir les données dans les formats exploitables. « C’est compliqué parce que le retour sur investissement n’est pas assuré pour les acteurs privés », analyse Mathieu Lehot-Couette. « Bien sûr nous citons la marque si nous utilisons ses données, mais pas si nous échangeons simplement avec un technicien. » 

Pour maintenir de bons rapports avec les datajournalistes, certains organismes développent de véritables moments d’échanges avec eux. « Par exemple, l’INSEE crée des webinaires pour présenter une nouvelle base de données, ses biais, ses limites et ses méthodes de traitement », raconte Victor Alexandre. « C’est très utile pour nous, et ça nous permet de maintenir le lien avec des organismes qui nous sont importants et précieux. » Ces échanges réguliers permettraient de construire une relation de confiance durable, au service de la qualité de l’information. 

 

 

A retrouver dans cet article :  

  • Comment les datajournalistes utilisent-ils les communiqués ? 
  • Quels formats de données privilégier pour les journalistes data ? 
  • Pourquoi la transparence est-elle indispensable pour collaborer avec eux ? 
 
 → Pour en savoir plus sur l’open data en France : https://www.data.gouv.fr 


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