Le Média Traitement des sources : « Être journaliste ne se résume pas à regarder Twitter. » (Laurent Barthélémy, AFP)
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Traitement des sources : « Être journaliste ne se résume pas à regarder Twitter. » (Laurent Barthélémy, AFP)

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Traitement des sources : « Être journaliste ne se résume pas à regarder Twitter. » (Laurent Barthélémy, AFP)
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Rechercher, vérifier et mettre en forme l'information pour la porter à la connaissance du public : tel est le métier du journaliste. Quelle place le traitement des sources occupe-t-il dans la pratique journalistique ? Comment les professionnels de l’information évaluent-ils la qualité et la fiabilité de leurs sources ? Entretien avec Laurent Barthélémy, journaliste tech au pôle Numérique/Culture de l'Agence France-Presse.

Quelle importance revêt le traitement des sources pour les journalistes ?
 
Les sources font partie des fondamentaux du journalisme. Elles constituent la matière première avec laquelle nous, journalistes, allons travailler. Si on a de mauvaises sources, alors on a de la mauvaise matière première, et donc on fait un mauvais produit. C’est pourquoi elles sont absolument cruciales. Je ne pense pas qu’il y ait un journaliste qui travaille sans source, ça n’existe pas. Un journaliste, par définition, a besoin d’aller chercher l’information, d’avoir des personnes qui vont le renseigner.
 
Le mot « source » est souvent associé à l'investigation, à la recherche d'informations confidentielles, de secrets... Tout cela est vrai mais, en réalité, on passe beaucoup de temps à essayer de comprendre ce qu’il se passe en utilisant des informations qui ne sont pas cachées, que l'on cherche à décrypter, en échangeant avec des personnes qui vont pouvoir nous donner une vision de ce qui est en train de se passer.
 
Comment les journalistes recueillent-ils leurs sources ?
 
L'AFP occupe une position centrale dans le paysage médiatique. Les communicants ont donc tout intérêt à connaître les journalistes de l'AFP, savoir à qui envoyer leurs communiqués de presse... et, par conséquent, viennent vers nous. La difficulté est de faire le tri. De tous ces contacts, très peu vont réellement nous intéresser. Dans le domaine dans lequel je travaille - le numérique -, les événements professionnels sont un autre grand moyen d’avoir des sources. Les congrès, les salons, les débats ou les conventions rassemblent beaucoup de personnes et nous permettent ainsi de trouver des contacts. On explique alors aux sources potentielles ce que l'on cherche, afin qu'elles comprennent bien qui l'on est et ce que l'on veut.
 
Un journaliste a-t-il forcément besoin de contacts ou peut-il travailler uniquement avec des sources écrites ?
 
Il se trouve que j’ai travaillé aux Etats-Unis en tant que journaliste indépendant. J’ai essayé de travailler uniquement avec les sources sur Internet, parce que je m'intéressais au domaine de l’énergie où beaucoup de ressources sont disponibles en ligne : des rapports, des documents écrits, des articles de presse faits par d’autres… Mais travailler uniquement à partir de sources écrites, c'est difficile. J’ai mesuré toute l’importance du contact humain. L'échange avec une autre personne nous permet de comprendre plein de choses qui gravitent autour de l’information factuelle. C’est pour cela que les sources sont fondamentales et le resteront. Être journaliste ne se résume pas à regarder Twitter, ce n’est pas possible. C'est un point de vue personnel : certains vous diront que ce n’est pas vrai. Le datajournalisme, par exemple, repose essentiellement sur l’exploitation de données et fournit pour autant une information qui est tout à fait intéressante. Mais je suis convaincu que, in fine, quand on recherche des informations fondamentales, les informations d’origine humaine sont essentielles.
 
Vous évoquez Twitter. Les réseaux sociaux entrent-ils dans l'équation de la collecte d'informations ?
 
Oui, bien sûr. Les réseaux sociaux sont extrêmement utiles. En tant que journaliste tech, j’y passe plusieurs heures, sur Twitter notamment. Ils nous apportent une quantité considérable d’informations. En revanche, je vérifie toujours ces informations en échangeant avec des sources. Sinon, si je ne les valide pas, si je me fais une perception des faits uniquement par le biais de Twitter, je sais que je cours un gros danger. Je les considère plutôt comme des alertes.
 
Les réseaux sociaux sont aussi un moyen de trouver des sources : je vais contacter une personne parce qu'elle a l'air d'être bien informée ou d'être experte sur un sujet et parce qu'elle ne cherche pas à peindre la réalité en servant ses intérêts et fait preuve un certain niveau d’honnêteté intellectuelle. Des contacts sont dans mon carnet d’adresses grâce à Twitter. Je connais des journalistes qui utilisent beaucoup LinkedIn également. Toujours en restant vigilant à l'authenticité des profils. Sur Twitter, la certification d’un compte fait généralement gage de fiabilité. Si la pastille bleue n'apparait pas, je me méfie, il peut y avoir un risque d'usurpation d’identité.
 
Comment évaluez-vous la fiabilité et la qualité de vos sources ?
 
L'aspect humain est primordial. On parle avec nos interlocuteurs en posant des petites questions et en évaluant leurs réponses. Moi, par exemple, s'ils essaient absolument de me « vendre » un sujet, je me méfie. Je regarde s'ils acceptent vraiment de répondre à mes questions ou s'ils se contentent de me tenir à distance, de pondre des banalités. La durée rentre aussi en compte : c’est-à-dire si on se rend compte a posteriori qu’un interlocuteur avait une mauvaise vision, qu’il s’est trompé, qu’il a sciemment cherché à nous induire en erreur, on s’en souviendra la prochaine fois.
 
En revanche, ce n’est pas parce qu’on sait très bien qu’une source n’est pas fiable qu’on ne va pas l’appeler. Car, malgré tout, le sens dans lequel elle essaie de nous faire aller peut en soi nous apporter des informations. Ainsi, l'interroger nous apprend des choses. Mais on sait que, surtout, il ne faut pas avoir confiance.
 
Recoupez-vous toujours vos sources ?
 
Je pense qu’on ne peut pas dire qu’on ne recoupera jamais. Ce serait une erreur de toujours faire complétement confiance à quelqu’un. Parfois, l’expérience avec un contact nous a appris que cette personne était fiable. J'ai donc un coefficient de sécurité plus élevé. Mais il peut arriver que cette personne soit mal informée, se trompe ou ait une mauvaise perception des choses. D’où l’importance de recouper les sources.
 
Vous êtes journaliste tech au pôle Numérique/Culture à l’AFP. De quel type sont vos principales sources ?
 
Certaines sources reviennent souvent parce qu’elles sont fréquemment dans l’actualité, comme les grands acteurs du numérique, à l’exemple des GAFAM. Parmi les sources importantes, il faut citer certaines grandes entreprises de l’informatique, des investisseurs tech, des représentants du gouvernement et de l’Etat, des ONG, et puis des experts techniques, des gens qui sont capables de décoder ce qui se passe. Ces « vulgarisateurs » sont particulièrement importants pour des sujets comme la cybersécurité, le quantique, l’intelligence artificielle… 
 
Les grands acteurs du numérique semblent entretenir une certaine opacité dans leur communication. Confirmez-vous cette impression et y avez-vous déjà été confronté ?
 
Oui, certains sont opaques. Mais ils ont des façons d’être opaque différentes et, malgré tout, ils fournissent des informations. Pour certains, le partage est ancré assez profondément dans leur culture d’entreprise, parce qu'ils ont toujours eu cette stratégie d'ouverture. D'autres vont nous contacter quand il s'agit de sujets pour lesquels pourront être faits des papiers un peu laudateurs. En revanche, sur des sujets plus sensibles, le travail devient plus compliqué.
 
Mais il faut garder à l’esprit que, bien entendu, il y a des choses qu’on ne nous dit pas. Pour collecter ces informations, ma tactique, c’est d’être franc et clair dans ma demande. Je pose des questions les plus factuelles possible, en les étayant par des faits, des chiffres, des constats... C’est aussi la culture de l’AFP.
 
 
Propos recueillis par Emma Alcaraz.

  

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