La publication a généré plus d’une centaine de réactions. Postée sur LinkedIn à la mi-décembre, la réflexion de Nicolas Pré, responsable des relations médias et influence du groupe Les Echos-Le Parisien, a rouvert le débat : « J'ai toujours trouvé étrange cette pratique qui consiste, pour les services de communication, à remercier sur les réseaux sociaux les journalistes qui consacrent portraits ou interviews aux personnalités des entreprises dont ils défendent l'image et la réputation. »
Pour le communicant, ce « merci » peut « être perçu comme complaisant ». Dans l’espace commentaire de la publication, la question divise. Certains trouvent cela normal de les remercier, quand Patrick Cabannes, ex-journaliste au Figaro, y voit la preuve d’une connivence entre la communication et le journalisme.
« Être remercié en public peut être déstabilisant »
Dans la communication des médias depuis plus de 15 ans, Nicolas Pré insiste : « Je ne remercie jamais publiquement un journaliste et j'encourage mes collègues à ne pas le faire. Plus encore, il juge même son emploi « totalement contreproductif », car ce « merci » cultiverait une ambiguïté et laisserait induire une forme de service rendu, de collusion entre les deux professions. A fortiori, selon lui, dans le contexte actuel de défiance envers les médias. Pour rappel, le 37e baromètre de confiance dans les médias, réalisé par l’institut de sondage Kantar Public (ex-TNS Sofres) pour La Croix en novembre 2023 établissait que 57 % des Français interrogés considèrent qu’il faut « se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité ».
« Être remercié en public peut être déstabilisant », abonde Jean-Michel de Marchi, journaliste depuis une douzaine d’années chez mind Media. « Chacun fait son travail », estime le reporter, soucieux de conserver une certaine distance avec ses interlocuteurs. « Si je suis remercié par un communicant, je me demande si j’ai vraiment bien fait mon travail, cela veut dire que je n’ai pas assez creusé », considère même Roland, journaliste indépendant, après être passé par les rédactions de Canal+, France Télévisions ou L’Equipe.
Pour autant, cette opposition au « merci » ne fait pas l’unanimité. « Je ne vois pas de malice ou d’ambiguïté à remercier la qualité de travail de quelqu’un, surtout dans une époque où les journalistes sont souvent vilipendés. », estime ainsi Noëlle Real, autrefois journaliste au Dauphiné Libéré pendant une vingtaine d’années. « C'est un peu comme les applaudissements à la fin d'une pièce de théâtre, le comédien est payé pour jouer, il fait son travail. Pourtant, on l'applaudit quand même s'il a bien joué », ajoute celle qui a désormais fondé son agence de relation presse, Real RP influence, à Avignon.
« Le journaliste enquête, interviewe, rencontre, relate, recoupe ; le service de communication lui, a pour vocation de lui faciliter les mises en relation et le travail s’arrête là », estime le journaliste Patrick Cabannes.
Effectivement, bien que les deux professions se côtoient et collaborent régulièrement, la distinction est claire. La fonction d'un service de communication est de porter le discours de son entreprise ou de son dirigeant, tandis que celle des journalistes est de remplir sa mission d'information. Bien qu’elles aient des différences notoires en matière de déontologie, elles ont, en revanche, un dénominateur commun : la délivrance d’un message.
« Des frontières beaucoup trop poreuses »
Si la question des remerciements divise autant, c’est aussi parce que « la frontière est devenue de plus en plus poreuse, entre le journalisme et la communication », explique Patrick Cabannes.
Roland est aujourd’hui amené à travailler avec d’autres organismes que celui de la presse, comme le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Il assume illustrer cet entre-deux entre le journalisme et la communication.
« En travaillant sur les J.O, je ne peux plus dire que je ne suis que journaliste. Mais ai-je l'impression de faire un métier différent ? Pas vraiment. En revanche, je refuse désormais de couvrir journalistiquement les JO. On ne peut pas tout faire à la fois. » Comme lui, de nombreux journalistes participent à des missions de communication voire changent de voie professionnelle, pour palier la précarisation du métier.
Selon Noëlle Real, certaines pratiques, telles que la sponsorisation, le partenariat, ou le brand content entre médias et entreprises privées brouillent elles aussi la distinction entre les professions. Une confusion qui « nuit à l’image de la presse », précise l’ancienne journaliste. Pour Roland, ces pratiques, tout comme le remerciement public, remettent en question la crédibilité des journalistes, voire, peuvent donner l’impression « qu’ils font partie des instituions élitaires, et non du contre-pouvoir ».
« Il faut être conscient des problématiques d’indépendance des médias », explique Nicolas Pré. « Tout dépend du secteur d’activité », nuance Noëlle Real, qui travaille dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration. « Ce n’est pas le même enjeu que pour des secteurs politiques ou économiques », estime-t-elle.
Pour rappel, près des deux tiers des Français considèrent que les journalistes ne sont pas totalement indépendants, selon le 37e baromètre La Croix-Kantar. Ainsi, pour 59% d'entre eux, ces professionnels de l’information sont soumis aux partis politiques et au pouvoir et 56% d’entre eux considèrent qu’ils sont contraints par les pressions financières.
« Ni des rivaux, ni des collaborateurs, mais plutôt des interlocuteurs »
Autour de cette question du « merci », journalistes et communicants partagent des pistes de réflexion et des recommandations pour établir de bonnes relations et sortir de ce hiatus par le haut.
Même s’il est souvent tenté de remercier les journalistes, Florian Bachelet, responsable des relations presse et communication de crise du groupe Clariane (ex-groupe Korian) insiste sur le caractère professionnel du « merci », pour ainsi éviter les mauvaises interprétations : « Le remerciement de courtoisie est tout à fait possible mais il est préférable de le faire en privé et d'en donner la raison au journaliste : le fait de nous donner la parole ou encore d'avoir retranscrit avec justesse notre propos. En revanche on ne remercie pas pour la qualité de l'article, qui pourrait être assimilé à un merci "pour service rendu ». Et d’ajouter : « Plus on est transparent dans nos métiers, plus on gagne en légitimité, en neutralité et en sérénité. »
Pour Jean-Michel de Marchi, les journalistes et les communicants ne sont « ni des rivaux, ni des collaborateurs, mais plutôt des interlocuteurs. » Raison pour laquelle, selon lui, « le journaliste a besoin des communicants et il doit être suffisamment proche de cette source souvent bien informée et parfois utile, mais il doit garder une certaine distance pour ne pas en être dépendant et faire le tri entre le message qu’il souhaite faire passer et ce qui relève d’une information réellement pertinente pour son lectorat. »
Dans le fond, les pourfendeurs du remerciement critiquent avant tout sa pratique publique. Ainsi, selon Nicolas Pré un « merci » pour l’intérêt porté aux activités de son groupe peut être utilisé dans la sphère privée. Avis partagé par Florian Bachelet, pour qui ce remerciement en privé des journalistes « permet d’éviter les mauvaises interprétations. » Une manière en somme de rester, non seulement cordial et en même temps remplir leur mission de relations presse.
Par la force des choses, journalistes et communicants sont amenés à échanger au quotidien. Ainsi, pour une bonne entente entre les professions, Frédéric Fougerat, président de l’agence de communication de crise Tenkan Paris, le rappelait dans notre chronique RP : « Dans relations presse, il y a le mot “relation”. Et ça il ne faut jamais l'oublier. »
Alix FORTIN