Les chiffres le confirment : à l’heure où 77 % des journalistes se disent prêts à bloquer les communicants qui envoient des messages non ciblés, et 62 % ceux qui relaient des informations inexactes ou non sourcées (Cision : L’état des médias, 2024), la précision et la personnalisation deviennent des critères essentiels.
L'IA, entre promesses et limites
L’intelligence artificielle générative s'installe progressivement dans les habitudes des professionnels des relations presse. D'après le rapport Cision (L'état du communiqué de presse en 2024), 26% des RP l'utilisent déjà pour rédiger leurs CP et 49% envisagent son usage dans un futur proche. Cependant, même si cette technologie propose de nombreux avantages (automatisation, synthétisation, production d’images…), les spécialistes des RP doivent être vigilants quant aux limites de ces outils au moment de la rédaction de leur CP.
Parmi ces limites figure au premier rang l'uniformisation des textes. Comme le détaille Jean-Baptiste Viet, youtubeur spécialisé en technologies et en IA et auteur du livre "Co-créateur" (Éd. Eyrolles), « quand l'IA est mal utilisée, les textes sont génériques et pas du tout personnalisés ». Ce phénomène s’explique par le fonctionnement des algorithmes de ces IAG, précise-t-il. « Ce sont des modèles probabilistes et statistiques entraînés sur des milliards de documents et de mots. Sans indication, ils donnent une réponse très moyenne. Ils sont bons uniquement si on leur dit exactement où aller. »
Concrètement, lorsque tous les RP utilisent les mêmes prompts (ndlr : instructions données à l’IA) génériques, les CP finissent par se ressembler. « Je remarque que les personnes qui l'utilisent ne mettent pas leur expertise, ni d'informations sur leur propre expérience dans le prompt. Ils font une confiance aveugle à l'outil qui peut donner un texte agréable à lire en apparence, mais dans le fond banal et donc peu susceptible de capter l’attention d’un journaliste », observe le créateur de vidéos sur YouTube.
À cela s'ajoute le risque de diffuser de fausses informations, « même les meilleurs modèles d'IA font des erreurs. Il faut tout vérifier, tout remettre en question. Pour chaque chiffre, il est nécessaire de consulter la source pour s'assurer qu'il n'y a pas eu de mauvaises interprétations », insiste Marie Robin, consultante IA et marketing et fondatrice de Fleet Forward.
Un autre défaut lié à ce dispositif artificiel est sa difficulté à créer des contenus émotionnels, or, c’est ce qui compte dans un CP. « Ce qui fait la différence dans mon travail, ce sont mes références culturelles, mes lectures, mon histoire, mes rencontres, mes échecs et mes réussites. Et puis il y a l'émotion, celle que je ressens quand j'écoute un dirigeant, par exemple. Celle-ci m'inspire sur des angles qui font mouche et qui seront différenciants. Je ne challenge pas ChatGPT sur cette partie, car même si on prédit que l'IA saura également ressentir, pourra-t-elle avoir, un jour, un cœur qui bat ? », confie Soizic Desaize.
Un prompt précis
Malgré ces risques et ces freins, l'IAG n'est pas pour autant à bannir, nuance la fondatrice de l’agence Padam. “L'IA est une palette d'outils et nous devons l'appréhender comme tel. Elle peut être utilisée comme un super collaborateur à former pour performer, mais nous ne pouvons pas lui laisser les clés du camion. Aujourd'hui, je n'utilise pas ChatGPT pour rédiger, car j'aime cet exercice et je ne souhaite pas le sous-traiter. Il me semble indispensable que nous restions attentifs à garder notre propre jugement, notre vision, à ne pas altérer notre esprit critique, notre discernement, à faire grandir encore et toujours notre culture”, revendique-t-elle.
Pour tirer le meilleur parti de ce dispositif, les experts préconisent unanimement de travailler avec précision son prompt.“Utiliser ChatGPT nécessite la maîtrise de la création de prompts, ce qui exige une parfaite connaissance de son sujet, une vision des angles, de la tonalité, un travail de veille, un parti-pris déjà construit. La technologie a de tout temps permis de nous élever si et seulement si, nous savons l'utiliser. Alors, la formation est un enjeu majeur”, ajoute la dirigeante.
Pour éviter l'effet « écrit par l'IA », l’auteur de l'ouvrage “Co-créateur” recommande d'inclure dans le prompt une liste de mots à proscrire. « Il y a des mots qui reviennent souvent dans les textes générés par les LLMs (ndlr : modèle massif de langage), notamment 'crucial'. Pour éviter cet effet, vous pouvez expliquer à l'outil de ne plus utiliser ces termes avec le prompt suivant : 'Votre réponse ne doit contenir aucun des mots ou expressions suivants : [crucial, à l'ère numérique actuelle...]' » Cette indication permet déjà d’éliminer le style rédactionnel typique de cet outil.
De son côté, Marie Robin souligne l'importance de la précision du prompt : « L'IA ne peut pas deviner ce qu'on ne lui dit pas. Plus on lui donne de détails tirés des échanges avec le client et de ce qu'on a compris de ses besoins, plus le résultat sera bon. » Pour les clients réguliers, la consultante recommande de créer un référentiel : « Pour un client dont on connaît le style et dont les communiqués de presse ont déjà été validés, on peut créer un assistant basé sur ces modèles, pour la structure et le ton. Il faut lui demander de suivre cette base et d'analyser ce qui fait le style unique de ces communiqués. Ensuite, on garde toujours cette même structure et ce même ton pour les nouveaux communiqués. » Cette approche peut être systématisée à l'échelle de l'agence, poursuit-elle, « l'idée est de créer un document dans lequel chaque attaché de presse établit, pour chaque client et journaliste, une sorte de CRM contenant toutes les informations prêtes à être copié-collé dans le prompt. »
« Le rôle de notre intelligence collective et non artificielle »
Ces dispositifs n'ont pas vocation à se substituer au travail de réflexion des communicants, mais à l'enrichir. « En donnant à l'IA les bonnes informations, instructions, tonalité et contexte, elle va produire du bon contenu. Il faut s'y mettre maintenant parce que beaucoup le font déjà, et ceux qui ne s'y mettent pas risquent d'être dépassés par des attachés de presse plus rapides », insiste la spécialiste en marketing.
Soizic Desaize rappelle, quant à elle, la place, indétrônable, des attachés de presse dans la réflexion stratégique et la rédaction des communiqués. « Dans notre métier, nous devons rester vigilants sur l'information que nous recevons et celle que nous diffusons. Cela restera le rôle de notre intelligence collective et non artificielle », défend-elle.
Finalement, l'avenir de l'IA dans la création de contenu reposerait sur une collaboration intelligente : d'un côté, la puissance de traitement de l'IA, de l'autre, la sensibilité et le discernement de l’humain. Un tandem, qui bien maîtrisé, pourrait redéfinir les standards des communiqués de presse.