Les deepfakes ont gagné en popularité ces dernières années, propulsés par les avancées de l’intelligence artificielle. Ces nouvelles techniques de synthèse représentent un défi pour les journalistes, à différents niveaux.
Le mauvais profil des deepfakes
Le phénomène a pris de l’ampleur. Et les retombées ne sont pas sans conséquence. En avril 2020, le groupe d'activistes Extinction Rebellion a partagé une vidéo d'un discours de la Première Ministre belge Sophie Wilmès. Cette dernière admettait le lien entre l'émergence du Covid-19 et la crise écologique dans sa prise de parole... fictive. Le succès de ce deepfake a été retentissant : en 24h seulement, la vidéo comptabilisait plusieurs milliers de vues sur les réseaux sociaux. Bien que des précautions aient été prises par l'ONG pour éviter toute confusion - en indiquant notamment que la vidéo était manipulée -, certains se sont laissé avoir. En effet, plusieurs commentaires suggéraient que des internautes pensaient avoir affaire à la véritable Sophie Wilmès. La portée politique de cette technologie peut être dangereuse. Plus récemment, un deepfake représentant le président ukrainien Volodymyr Zelensky appelant à rendre les armes face à l’invasion russe et ordonnant à ses troupes de stopper les affrontements a circulé sur la toile. Cette vidéo a rapidement été censurée par les médias sociaux.
En avril 2020, le groupe d'activistes Extinction Rebellion partage un deepfake de la Première Ministre belge Sophie Wilmès. (Source : Extinction Rebellion)
Ainsi, utilisée à mauvais escient, cette technologie peut servir à tromper. Et pour cause : leur réalisme rend leur détection difficile. Mais au-delà de la parfaite illusion, les deepfakes jettent la suspicion sur l'ensemble des contenus audiovisuels. Comment savoir si une vidéo n'est pas manipulée ? Le défi est de taille. « Je vois quatre grandes évolutions des deepfakes qui peuvent nous inquiéter dans les mois à venir » prévient Sam Gregory de Witness, une organisation qui utilise la vidéo et les nouvelles technologies pour faire avancer les droits de l'Homme, dans un entretien à La revue des médias en octobre 2020. « La première concerne la qualité des deepfakes audio, qui ne cesse de s’améliorer et qui va bientôt rendre la détection extrêmement difficile. La seconde, c’est la création de deepfakes haute résolution à l’aide d’une simple image. Les essais sont déjà très convaincants. Troisième danger, l’effacement d’objets ou la modification d’une scène. Enfin, la commercialisation d’application mobiles qui popularisent le faceswap et les deepfakes. »
Pour les journalistes, la vérification des deepfakes est donc un nouvel enjeu. Les services de fact-checking des médias, déjà occupés à vérifier les fausses informations qui prolifèrent sur la toile, surveillent le phénomène avec attention.
Les deepfakes, une technologie au service des journalistes ?
Bien qu'ils puissent être utilisés comme une arme d'illusion massive, les deepfakes ne sont pas seulement un outil de désinformation et peuvent servir de meilleures causes. Et même être utiles aux journalistes.
On peut citer notamment le documentaire de David France, Welcome to Chechnya, diffusé pour la première fois en 2020, qui dénonce la persécution des homosexuels en Tchétchénie. La technologie des deepfakes est employée pour masquer le visage des protagonistes, membres de la communauté LGBTQIA+ tchétchène persécutés par le gouvernement de Ramzan Kadyrov. De cette manière, leur identité est protégée tout en préservant les expressions du visage et toujours en véhiculant les émotions. « Welcome to Chechnya pourrait représenter l'introduction d'un nouveau type de masque, celui qui cache l'identité d'un sujet tout en permettant un attachement émotionnel complexe. » précise Joshua Rothkopf dans son article du New York Times. Les techniques d'hypertrucage peuvent donc permettre aux journalistes d'innover en protégeant leurs sources grâce au remplacement des voix ou des visages.
La technologie des deepfakes est utilisée dans le documentaire Welcome to Chechnya pour masquer le visage des protagonistes.
Le véritable défi repose sur la détection des deepfakes. De plus en plus sensibilisés au sujet, les journalistes sont des acteurs majeurs dans le repérage de ces faux contenus. « La sensibilisation de l’ensemble de la rédaction à la question des deepfakes est cruciale » explique Francesco Marconi, responsable R&D du Wall Street Journal. « Les processus et les normes du journalisme ne changent pas : bien qu’il s’agisse d’une technologie de pointe, le fondement du métier est le même – vérifier l’origine et la fiabilité des sources, faire des recherches sur le contexte, comparer des informations. » Une chasse aux deepfakes qui s'inscrit finalement dans une quête plus globale : lutter contre la désinformation.
Emma Alcaraz