Entre le Mondial de football au Qatar, la Route du Rhum, le Mondial de rugby féminin, les sports occupent une place dominante dans les médias. Face à cette médiatisation, les relations presse semblent jouer un rôle primordial, dans les interactions entre journalistes et sportifs. Problème, les intérêts divergents de ces deux acteurs aboutissent parfois à des tensions. En réalité, ces rapports conflictuels ne font que traduire une incompréhension des rôles et des responsabilités de chacun.
En avril dernier, elle a clamé son indignation contre le Paris Saint-Germain. Dans un communiqué, l'Union des Journalistes Sport de France écrit alors une « attitude contraire à l’usage » et « s’alarme de l’attitude du futur champion de France », qu’elle « rappelle à ses devoirs et en appelle à son bon sens ». Et pour cause, les joueurs du PSG ne s'étaient pas présentés en zone mixte, pour s’exprimer à l’après-match, comme le veut la coutume.
Le règne de la distance dans les RP
Dans le football, comme pour d’autres sports, de nombreux journalistes reprochent à certaines institutions de les empêcher travailler dans de bonnes conditions, notamment en rendant les joueurs inaccessibles. Emmanuel Pionnier, chef du département des Sports à l’AFP, exerce depuis plus de 30 ans à proximité des sportifs. Reporter polyvalent à ses débuts, puis coordinateur, il a couvert un grand nombre d’événements dans le sport et a constaté une évolution des interactions entre sportifs et journalistes. « Actuellement, c’est impossible de joindre un joueur, à moins d’être ami avec lui. Les sportifs se protègent et la professionnalisation fait qu’ils le sont d’autant plus dans leur méthode de travail. »
Cette distance entre sportifs et journalistes s’est par ailleurs accentuée avec la crise sanitaire. En 2021, La Ligue Professionnelle de Football avait décidé de restreindre l’accès aux zones mixtes aux médias détenteurs de droits, après les matchs de Ligue 1 et de Ligue 2. La même année, les relations presse s'étaient déroulées en des visio-conférences à Roland-Garros, où 400 journalistes s’étaient déplacés sur site, alors que 1 200 avait été accrédités. Le journaliste japonais Shinsuke Kobayashi avait même alerté sur ce phénomène, lors d’une assemblée de l’association internationale de la presse sportive en juillet 2021 : « ne laissons pas les clubs et les institutions nous mettre de côté dans le monde post-covid. »
Au-delà de la crise sanitaire, la qualité des relations presse est aussi victime, depuis de nombreuses années, des sommes d’argent massives investies dans les sports de haut niveau. C’est notamment ce qui ressort d’une étude Statista 2022 sur les revenus de la NBA. Selon l’institut, 8,76 milliards de dollars ont été générés en 2019 dans l’univers du basket roi. Des montants qui donnent le vertige. Ainsi, le chiffre d’affaires de la NBA n’a cessé d’augmenter, et a même affiché, pour la saison 2018-2019, des revenus quatre fois plus élevés d'au début des années. Avec des intérêts toujours plus colossaux, la NBA contourne les relations presse et développe ses propres canaux de communication. Les joueurs de NBA utilisent donc leurs réseaux sociaux pour annoncer une prolongation ou une signature de contrat. Ils risquent même de se faire sanctionner, si leurs actions diffusées en ligne portent préjudice à l’image de la ligue américaine. Raison pour laquelle, en 2017, la NBA a sanctionné le joueur de basket Français Joel Embiid d’une amende de 10 000$, pour avoir injurié sur Instagram, l’homme d’affaires américain LaVar Ball.
Revenus totaux de la ligue de la National Basketball Association de 2001/02 à 2020/21
(en milliards de dollars américains)
(Source : Statista 2022)
Qu’il s’agisse du football, du tennis ou de la NBA, les sports les plus médiatisés, représentent un marché tel, qu’ils rebattent les cartes des relations presse, selon Laurence Dacoury, fondatrice de l’agence de relations presse Blanco Negro, spécialisée dans le domaine du sport depuis 1994. « Aujourd’hui, l’économie du sport draine des ressources financières considérables, obligeant les institutions et les sportifs à maîtriser leur image et leurs relations avec les journalistes, surtout avec l’avènement des réseaux sociaux qui accélère la professionnalisation de la communication avec une surprotection des sportifs », explique la professionnelle des RP qui travaille avec des institutions, et des sportifs tel que Teddy Riner.
Soutien majeur dans les sports, les sponsors sont eux aussi entrés dans l’équation des relations presse. D'après Emmanuel Pionnier, ces derniers peuvent exercer leur influence, et soumettre une demande à un communicant, qui à son tour sera revendiquée auprès du journaliste. « Récemment, lors d'un grand colloque à Paris, une interview avec un multi champion olympique nous a été accordée. Plus tard, l’attaché de presse nous informe que l’interview aura lieu à condition d’utiliser une photo fournie par son équipe, pour la promotion d’une marque de montre. Communicants et journalistes doivent négocier et trouver des compromis. Il y a un rapport de force qui se fait par moment, mais la plupart du temps on arrive à dialoguer ».
Journalistes et communicants : « je t'aime, moi non plus »
Si la plupart des acteurs du sport se prête à l’exercice des demandes médiatiques, certains d'entre eux ont parfois bien du mal à accepter les critiques de la presse. En 2016, deux journalistes avaient été refusés aux portes de football du FC Tours, lors d’un match de Ligue 2 contre l’AC Ajaccio. Le club n’avait pas apprécié les articles de la presse régionale à leur sujet, rapportait alors le journal l’Equipe.
Ces types d’événements ne font que mettre en lumière des incompréhensions entre ces acteurs. « J’ai parfois entendu des journalistes se faire traiter de nom d’oiseau dans certaines institutions, précise Laurence Dacoury. Il faut expliquer le métier de journalistes aux institutions sportives, respecter le métier des uns et des autres, les exigences et la mécanique dont un journaliste pour déployer son papier. »
Des malentendus, entre la mission des journalistes et les impératifs des communicants, qui brouillent évidemment les relations presse. « Chacun doit comprendre ce que fait l’autre, les attachés de presse essayent de mettre de la communication dans le travail des journalistes parce que c’est leur métier, mais les journalistes sont dans l’information, donc les deux parties doivent trouver des compromis », résume Emmanuel Pionnier.
Et de poursuivre : « Les communicants ont besoin qu’on parle de leur sport, lors d’une compétition, au cours de laquelle leur événement sera mis en lumière. Et du côté des journalistes, ils ont besoin de parler aux joueurs, parce qu’ils ont besoin d’informer. Donc on a besoin d’eux, ils ont besoin de nous. » En d’autres termes, même si les préoccupations sont ambivalentes, journalistes comme communicants peuvent trouver des intérêts communs, au service de relations presse dans le sport plus vertueuses.
Randa El Fekih