6 mai, 11 H. Dans son studio d’enregistrement, Marc Ezrati, journaliste-présentateur de l’émission le Club Immo sur Radio J, doit revoir sa programmation. L’expert prévu à l’antenne ne viendra pas.
Frédéric Lorey, attaché de presse indépendant, n’est pas mieux loti. Deux heures passées avec son client à peaufiner ses réponses aux questions envoyées par une journaliste, mais silence radio : l’article ne paraîtra jamais.
Bien qu’exceptionnels, ces aléas font partie du quotidien des professionnels de l’information et de la communication. Les journalistes doivent produire de l’information à temps, quand les attachés de presse répondent aux exigences de leurs clients. Les contraintes de chacun ne coïncident pas toujours.
Quand les rendez-vous tournent court
Se faire poser un lapin : la hantise de tous journalistes et attachés de presse. Pourtant, ce serait un passage obligé pour les RP confie Frédéric Lorey : « n’importe quel attaché de presse a déjà vécu ça : un article qui ne sort pas, un tournage annulé, une interview reportée… Ou un papier sans mention du client. Ça fait partie du métier. »
Même son de cloche du côté des journalistes. « On évolue dans un monde censé être celui de la communication, et pourtant, elle dysfonctionne souvent », regrette Marc Ezrati, journaliste depuis 35 ans. Il évoque les invités qui enchaînent un rendez-vous client juste avant son émission et arrivent en retard. « En radio, le studio n’est pas en libre-service. Il y a des techniciens, d’autres producteurs. Si l’invité n’est pas là, le créneau saute. ». Même les enregistrements anticipés ne protègent pas des imprévus. « Une attachée de presse avait confirmé l’expert. La veille, j'apprends qu'il ne viendra pas... parce qu'il n'avait pas été prévenu », s’indigne-t-il. « Résultat, une émission annulée, un créneau perdu et on fait ce que je déteste par-dessus tout : une rediffusion. »
« Il a mis fin à notre collaboration »
Chez les attachés de presse aussi, la pression est forte. Contraints de composer avec les attentes des journalistes et des clients, les marges de manœuvre sont parfois minces. Frédéric se souvient : « après des semaines de relance, j’avais décroché deux interviews avec Les Echos et BFM. Finalement, l’expert a refusé toute prise de parole, en raison d’un climat social tendu dans son entreprise. »
Autre mésaventure : « pour les besoins d’une séquence TV consacrée aux idées de cadeaux personnalisés, j’ai envoyé le produit d’un client à la production. L'assistante m'avait confirmé la bonne réception et ajouté qu’elle espérait que la séquence nous plairait », se souvient l’attaché de presse. « Le lendemain, en regardant l'émission, rien, aucune trace de notre produit. Impossible d'obtenir la moindre explication. »
Si ces événements restent généralement « rares », assure Sarah Gerlicher, attachée de presse indépendante dans le luxe, ils peuvent, néanmoins, avoir de lourdes conséquences. « J’avais organisé un voyage de presse pour cinq journalistes. Tout était calé. Le jour J, l’une d’elles a refusé d’embarquer, estimant que la compagnie aérienne, EasyJet en l’occurrence, n’était pas à la hauteur de ses attentes. Notre client, l’Office du tourisme, qui avait payé les billets, était furieux. Il a mis fin à notre collaboration. »
Méconnaissances et malentendus
Pourquoi autant de ratés entre journalistes et attachés de presse ? Pour Marc Ezrati, cela tient souvent à une méconnaissance du métier. « Certains RP ne connaissent ni nos formats, ni nos contraintes, ni nos délais. L’attachée de presse qui a planté mon émission ne savait rien de mon travail. Elle n’avait jamais écouté l’émission. »
Frédéric Lorey pointe quant à lui le rôle des clients : « certains refusent de parler à certains médias qu’ils jugent ‘trop populaires’. Ces blocages devraient être clarifiés dès le début de la collaboration, sans quoi c’est une perte de temps évidente. »
Ces dysfonctionnements, concède le professionnel de la communication, peuvent aussi être le résultat d’un mauvais choix de porte-parole. « Une fois, j’ai proposé un directeur d’école pour parler de gestion du stress à un journaliste, mais il ne maîtrisait pas le sujet et n’était pas concret. Résultat : pas une ligne sur l’école alors que j'avais soufflé l'idée de l'article au média. »
Rigueur, souplesse et pédagogie
La relation entre les journalistes et les RP est un jeu d’équilibriste. Pour que cela fonctionne, encore faut-il en comprendre les règles. « Je sais que les journalistes manquent de moyens, de temps et qu’une parution n’est jamais garantie », rappelle Sarah Gerlicher. « A nous de les décharger au maximum pour soulager leur travail : caler les rendez-vous, fluidifier les échanges, préparer les clients. » Mais la rigueur seule ne suffit pas toujours : « C’est un métier humain, il y a des imprévus. Il faut faire preuve de souplesse, tout en restant professionnel. »
Pour maintenir des relations durables avec les rédactions, Frédéric Lorey mise sur la transparence. « Je préfère être honnête dès le départ, en précisant les contraintes de mon client, plutôt que de promettre quelque chose que je ne pourrai pas tenir. » Mais il attend la même franchise en retour : « découvrir au moment de la parution qu’un client n’est pas mentionné, sans avoir été prévenu, c’est très inconfortable. Un simple message explicatif éviterait de nous mettre en porte-à-faux. »
Il insiste aussi sur la pertinence des propositions faites aux médias. « Il faut bien cerner les attentes des journalistes pour leur adresser des sujets adaptés. Même si cela n’aboutit pas, les journalistes doivent sentir qu’on a compris leurs besoins. »
De son côté, Marc Ezrati appelle à un effort de pédagogie. « Il faut faire connaître notre réalité aux RP. Qu’ils comprennent comment travaille un journaliste. Quelles sont ses contraintes et comment il sélectionne une information. L’idéal serait qu’ils visitent des rédactions ou assistent à des enregistrements. »
Et d’ajouter un conseil pratique, en cas d’imprévus : « si un expert est en vacances au moment de l’envoi d’un CP, il faut avoir un plan de secours, avec un autre intervenant. »
Les tensions entre journalistes et attachés de presse ne sont pas nouvelles. Mais elles rappellent une évidence : sans écoute, ni anticipation, la collaboration s’essouffle. A écouter les principaux concernés, mieux se comprendre, clarifier les rôles et partager les contraintes de chacun pourrait limiter les malentendus et contribuer à forger la relation dans la durée.