Le Média Groupe Télégramme : « Notre diversification ne se fait pas contre la rédaction, c'est un développement pour l'indépendance. »
Interview

Groupe Télégramme : « Notre diversification ne se fait pas contre la rédaction, c'est un développement pour l'indépendance. »

Media

Média emblématique de la Bretagne qui informe 1 million de lecteurs par jour, Le Télégramme a depuis 20 ans adopté une politique de diversification de ses activités. Avec le festival Francofolies, la Route du Rhum, ou encore le site d’offre d’emploi HelloWork, le groupe réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 200 millions d’euros. Le directeur général de la branche médias, Ronan Leclercq, ainsi que le directeur des rédactions, Samuel Petit, nous expliquent leur stratégie.  

Groupe Télégramme : « Notre diversification ne se fait pas contre la rédaction, c'est un développement pour l'indépendance. »
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Pourquoi adopter cette stratégie de diversification des activités du groupe ?  
 
Ronan Leclercq : Lors de la montée en puissance d’Internet dans les années 2000, les offres d'emploi qui étaient traditionnellement publiées dans le journal papier, ont progressivement migré vers des sites internet spécialisés. Les équipes du Télégramme voyant le volume des petites annonces diminuer, et le chiffre d'affaires avec, ont alors décidé, eux aussi, de s’y mettre. Ils se sont donc intéressés à une société naissante qui s'appelait à l'époque Ouest Job, devenue aujourd’hui HelloWork. Et par la suite, le groupe Télégramme a suivi ; toujours dans la logique de maintenir le chiffre d’affaires 
 
Quelles sont les branches d'activitésdu groupe ? 
 
R.L : Le groupe Télégramme compte 3 branches. Le pôle média, qui forme la branche historique compte plusieurs sociétés : le quotidien Télégramme, des magazines, une régie publicitaire, une entreprise de communication, des pure players et deux chaînes de télévision locale. Le pôle emploi à travers HelloWork, qui a d’ailleurs racheté beaucoup de sociétés ces derniers temps. Et puis le pôle événementiel et sportif, OC Sport, notamment organisateur de la Route du Rhum 
 
La branche média du Télégramme pourrait-elle survivre sans les activités parallèles du groupe ?  
 
R.L : Oui bien sûr ! Même si nous avons eu une année difficile en 2022 causée par l’explosion des prix du papier et de l'énergie. Nous avons des objectifs de rentabilité pour chaque pôle. Il n'y a pas un pôle qui nourrit l'autre. Ce n’est pas un combat simple, mais nous sommes économiquement positifs. Le groupe fait plus de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, l’ensemble de la branche média représente environ 115 millions. 
 
Et pourquoi certains voient la diversification comme une solution pour sauver la PQR ( Presse quotidienne régionale), si justement, une branche ne nourrit pas l’autre ?  
 
R.L : Nous ne pouvons pas estimer qu’une branche va être structurellement déficitaire au bénéfice d’une autre, ce n’est pas un modèle vertueux. Même si le secteur des médias n’est pas fortement rentable, il faut survivre de façon autonome, et fournir des efforts d’adaptation, afin de développer le chiffre d'affaires, tout en améliorant notre efficacité, ce qui signifie maitriser nos coûts.  
 
Le président du groupe, Édouard Coudurier avait annoncé que dans les années à venir, la presse ne représenterait plus qu'un tiers des activités du groupe. Il y a-t-il donc un risque qu’un jour la branche presse disparaisse au profit d’activités plus lucratives ?  
 
R.L : Aujourd'hui, la branche média pèse un peu plus de la moitié du groupe. Mais HelloWork se développe très vite et va sans doute devenir plus important que le pôle média. Mais tant mieux, nous nous en réjouissons ! Ils sont sur une dynamique forte, avec une accélération remarquable.  
 
Le Télégramme est une marque historique en Bretagne. Et si le groupe Télégramme s'appelle ainsi, c’est parce que sa notoriété vient essentiellement du média. Cela n'aurait pas de sens de lâcher cette activité, d'autant plus qu'elle s’autofinance. Il n'y a aucune raison de transformer un modèle qui s'améliore d'année en année. Nous avons d’ailleurs investi dans une des rotatives les plus moderne et rapide d’Europe il y a un an et demi. En tant que deuxième journal quotidien imprimé en France, c'est la preuve de notre foi en l'avenir du papier. Nous diffusons plus en papier que Le Figaro, Le Monde, ou Libération. Ces résultats prouvent que le contenu d’information intéresse les gens. Mais bien sûr, le développement du numérique et de nouveaux médias, comme la vidéo, sont aussi des axes stratégiques majeurs. 
 
Quel est l’impact de cette diversification sur les moyens éditoriaux de la rédaction ?  
 
Samuel Petit : Maintenir la rentabilité du pôle média demande d’immenses efforts d'organisation, de polyvalence, et d’optimisation. L’enjeu pour notre rédaction qui s'appuie sur un seul quotidien est de s’assurer que la production de l'ensemble des sociétés médias de la branche du groupe Télégramme travaille main dans la main. Notre travail est de créer des flux uniques, de valoriser les contenus, et de les faire circuler d'une plateforme à l’autre. Que l’information soit dupliquée, revalorisée, et transformée, sans aucun obstacle d'organisation. C'est une convergence de moyens techniques et humains. Il y a aujourd’hui 245 journalistes dont 218 au sein du quotidien, c'est le même nombre de journalistes qu'il y a dix ans. Mais ils ont quasiment tous changé de métier, dont 40 d’entre eux qui font un métier qui n'existait pas à l’époque !  
 
Et d’un point de vue d’indépendance éditoriale, comment les journalistes couvrent-ils un événement dont le groupe est l'organisateur ? 
 
S.P : Nous sommes en indépendance totale pour couvrir ces événements. Mais évidemment, le média Télégramme et nos télévisions jouent un rôle important. Comme pour L'Equipe avec le Tour de France, nous sommes un média porteur pour ces événements, et ces événements sont porteurs pour nous. C’est une véritable stratégie d'être organisateur d'événements massifs, parfois d'audience internationale, et d'en être le porte-voix médiatique.  
 
Le SNJ (Syndicat national des journalistes) a plusieurs fois fait part de sa vigilance concernant ces stratégies de diversification, mettant l’accent sur un point : que ces activités non-journalistiques impactent le cœur de métier qu'est l'information. Qu'en pensez-vous ?   
 
 S.P : Ce n’est pas nouveau que des groupes média se diversifient dans des activités proches de leur écosystème et organisent des événements. Déjà en 1903, lorsque le Tour de France avait été lancé par un média, le journal L'Auto. Concernant les annonces d’emploi, dans les années 80-90, elles représentaient déjà un revenu significatif des quotidiens.  
 
Et en interne, comment la rédaction accueille-t-elle votre stratégie de diversification ? 
 
R.L : Je tiens à la transparence de la stratégie du pôle média. Tous les ans en CSE, je fais une présentation du plan stratégique à l'ensemble des représentants du personnel. Notamment en février dernier, où ils ont voté favorablement, ce qui n'est pas le cas dans beaucoup d'entreprises. Le climat social du groupe Le Télégramme est de bonne qualité, l’enthousiasme est général et c’est une de nos forces. Il y a évidemment des échanges qui ne sont pas toujours simples, mais il y a une bonne compréhension. Si tout le monde est convaincu d’aller dans la bonne direction ensemble, nous avons fait une partie du travail. 
 
S.P : Le Télégramme a su investir en permanence dans sa rédaction, ses outils éditoriaux et ses outils d'impression. Le groupe a parallèlement investi dans sa diversification et celle-ci ne se fait pas contre la rédaction : c'est un développement pour l'indépendance.  
 
Diriez-vous que les groupes médias sont-elles des entreprises comme les autres ? 
 
R.L : Non, nous ne sommes pas une entreprise comme les autres, parce que nous jouons un rôle social majeur bien différent du rôle des entreprises de grande consommation par exemple. Le journal est un produit par son contenu dans une époque où le marketing est omniprésent. Nous sommes reconnus par ce que nous apportons quotidiennement aux gens en termes d'épanouissement, d'information et de développement du lien social, dans cette société qui devient de plus en plus complexe. 
 
S.P : Nous vendons un produit très spécifique : l’information. Nous ne pouvons pas être seulement dans les paillettes et le marketing, nous devons gagner la confiance d'une population, en l'occurrence la population bretonne, en s’assurant que l’information soit crédible. C'est une industrie de long terme.  


Propos recueillis par Alix FORTIN 

      

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