C’est l’un des enseignements les plus frappants du Digital News Report 2023 de l'institut Reuters : le réseau social TikTok est désormais un canal d'accès privilégié à l'information pour les jeunes générations du monde entier, qui accordent de plus en plus d’attention aux influenceurs, et de moins en moins aux journalistes ainsi qu’aux médias traditionnels.
Plus largement, les réseaux sociaux s’imposent désormais comme de nouvelles portes d’entrée majeures vers les contenus d’actualité. Et face à leur montée en puissance, le journalisme connaît des mutations inédites.
Les réseaux sociaux, désormais au cœur du travail journalistique
D’après le livre blanc État des médias en France en 2023 de Cision, la quasi-totalité des journalistes (96 %) utilisent aujourd’hui les réseaux sociaux dans le cadre de leur travail : ils sont 84 % à utiliser LinkedIn, 80 % à utiliser X, 78 % à utiliser Facebook, 68 % à utiliser Instagram, et 14 % à utiliser TikTok.
Et pour cause : ces plateformes offrent des opportunités incroyables en matière de veille, de collecte d’informations ou encore d’appels à témoins. Selon cette même étude, 45 % des journalistes utilisent par exemple les réseaux sociaux pour se connecter avec des experts ou demander des interviews, 43 % pour sourcer l’information, et 24 % pour s’informer sur les « trending topics ».
Les journalistes sont également nombreux à utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir leur travail et interagir avec leur audience. Le journaliste français Hugo Clément par exemple, qui est très engagé sur les sujets liés à l’environnement, est suivi par 1,2 million d’abonnés sur Instagram, 930 000 sur Facebook, 700 000 sur X et près de 800 000 sur TikTok.
Les réseaux sociaux sont donc un formidable outil de travail pour les journalistes. Mais leur irruption dans le paysage médiatique soulève de nombreux enjeux.
Les nouveaux défis du journalisme face aux réseaux sociaux
Combattre la désinformation, nouvelle priorité pour la profession
D’après Cision, les journalistes estiment que la lutte contre les fake news est leur plus grand défi actuel. Et les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien : selon une étude publiée par la start-up News Guard, 1 vidéo TikTok sur 5 contient par exemple des informations erronées.
Les professionnels de l’information doivent donc redoubler d’efforts pour vérifier leurs sources, et développer des stratégies de fact-checking. Laurent Barthélémy, à l’époque journaliste tech au pôle Numérique/Culture de l'Agence France-Presse, nous l’expliquait d’ailleurs dans un entretien : « Les réseaux sociaux sont extrêmement utiles, […] ils nous apportent une quantité considérable d’informations. En revanche, je vérifie toujours ces informations en échangeant avec des sources […]. Si je me fais une perception des faits uniquement par le biais de Twitter, je sais que je cours un gros danger. ».
Les journalistes, désormais en « concurrence » avec les influenceurs
Le rapport de l’institut Reuters cité précédemment pointe un autre phénomène majeur : « Les plus jeunes générations, qui ont grandi avec les réseaux sociaux, accordent souvent davantage d'attention aux influenceurs ou aux célébrités qu'aux journalistes, même quand il s'agit d'information », peut-on lire.
À l’heure où la crédibilité des médias traditionnels s’effrite dans l’opinion publique, les professionnels de l'information doivent donc non seulement préserver la qualité et l'objectivité de leur travail, mais aussi trouver des moyens novateurs d'engager un public qui privilégie désormais d'autres sources d'information.
Pour éviter de se faire détrôner par les influenceurs, certains professionnels de l’information décident d’adopter les codes de ces derniers. C’est par exemple le parti pris d’Hugo Travers, plus connu sous le pseudonyme « Hugo Décrypte », que nous avions interviewé il y a quelques mois : lui et son équipe de journalistes ont séduit des millions de jeunes sur YouTube, TikTok et Instagram, en se fixant la mission de rendre l’information accessible au plus grand nombre. La chaîne France 2 a d’ailleurs récemment annoncé lui confier une émission de 30 minutes une fois par mois sur son antenne, avec une première interview le 28 octobre prochain.
Le défi de l’adaptation des modèles économiques
Pour finir, les réseaux sociaux posent des défis majeurs à la profession journalistique en matière de partage des revenus. La manne publicitaire générée par les réseaux sociaux profite en effet essentiellement aux plateformes, et les journalistes sont nombreux à réclamer une rémunération plus équitable pour leur travail.
C’est tout l’enjeu des débats autour du « droit voisin du droit d’auteur », qui prévoit que les médias soient rémunérés lorsque leurs contenus sont réutilisés par les géants du Web, notamment sur les réseaux sociaux. Bien que ce principe soit entré dans la législation grâce à une directive européenne adoptée en 2019, la loi peine à s’appliquer.
La plateforme X, par exemple, qui a connu d’importantes évolutions suite à son rachat par Elon Musk, se refuse pour l’instant à respecter le droit voisin, et a même été assignée en justice par des médias français de référence comme Le Monde, Le Figaro ou l’AFP.
L'avenir des modèles de rémunération du journalisme dans le contexte de l’essor des réseaux sociaux reste donc un sujet de discussion brûlant, qui n’a pas fini de faire parler de lui.
Ingrid de Chevigny