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Contenus sponsorisés : un danger pour la crédibilité de la presse ?

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Sur les sites des grands titres de presse comme sur les réseaux sociaux, les contenus dits “sponsorisés” fleurissent. Derrière ces formats qui empruntent aux codes du journalisme, se glisse souvent un message commercial. Alors que la confiance du public envers la presse s’érode, ces pratiques peuvent-elles avoir des conséquences sur la crédibilité des journalistes ?  Décryptage.  

Contenus sponsorisés : un danger pour la crédibilité de la presse ?
Contenus sponsorisés : un danger pour la crédibilité de la presse ?
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Ils ressemblent en tout point à des articles journalistiques. Pourtant, ce sont des publicités. Selon Loris Guémart, journaliste pour Arrêt sur images, la pratique des articles sponsorisés s’est répandue : « Il n'y a que très peu de journaux qui ne se prêtent pas à cela ou aux partenariats publicitaro-rédactionnels. » Seules exceptions, selon lui, la presse indépendante, telle que Mediapart ou les médias du service public. 

La pratique est loin d’être anodine. En 2016, une étude menée par la Stanford University concluait que plus de 80 % des jeunes Américains ne savaient pas distinguer un article publicitaire d’un autre, véritablement journalistique, sur la presse en ligne. À l’heure où 62 % des Français interrogés déclarent se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité (Baromètre Verian 2025), la confusion entre information et publicité érode-t-elle la confiance du public envers les médias ? 
 

Une dépendance économique  

Les formats de ces contenus sont variés. « Cela peut aller de pages thématiques où les journalistes parlent d'un sujet choisi par une entreprise avec laquelle leur média a passé un contrat, jusqu’à des articles entièrement rédigés par l’annonceur, publiés dans un habillage quasi identique à celui du média », détaille Loris Guémart. Il cite ainsi les nombreux partenariats du Monde et du Figaro, où des journalistes rédigent des articles positifs sur des évènements culturels, parfois accolés de la mention « cet article fait partie d'un dossier réalisé dans le cadre d'un partenariat ».  


Ces contenus publicitaires existent aussi sous forme vidéo. Dans le cas des pure players comme Explore Media, ils constituent même l’épine dorsale de leur modèle économique. « Notre audience est exclusivement sur les réseaux sociaux. Donc, nos seules ressources viennent des vidéos sponsorisées et du partage des recettes publicitaires qui nous sont versées par YouTube et Snapchat », explique Maximilien Devay, directeur de la communication et du planning stratégique du média spécialisé dans l'edutainment.  
 
Pour ses vidéos, pensées pour être éducatives et divertissantes, Explore Media revendique néanmoins une exigence éditoriale : « Quand une marque comme Livi nous sollicite, on part d’un angle journalistique sur la santé intime féminine. On s’appuie sur des sources fiables, comme un médecin généraliste, pour apporter une vraie information. Le ton, la structure, la forme reprennent les codes du journalisme pour respecter notre ligne édito. »  

 

L’éthique mise à l’épreuve  

Mais comment distinguer clairement information et publicité ? Une loi existe, rappelle Pierre Ganz, secrétaire et membre du Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation (CDJM) : « l’article 10 de la loi du 1er août 1986 prévoit que toute publicité à caractère rédactionnel doit être précédée de la mention publicité ou communiqué”. » Cette règle vise à protéger les consommateurs. 
 

Sur le plan éthique, la charte mondiale des journalistes est explicite : un journaliste « ne doit pas créer une confusion entre l’activité de journaliste et de publicitaire. Il ne doit pas prêter sa plume pour promouvoir un produit pour lequel il est rémunéré », insiste le secrétaire du CDJM.  
 

Pourtant, des dérives existent. En 2019, les journalistes de « L’oeil du 20h » de France 2, ont découvert que des médias, dont Le Parisien et Le Figaro, publiaient des articles élogieux sur les rapports politiques franco-chinois, alimentés de fausses interviews. Ces contenus étaient en réalité rédigés par Xinhua, agence officielle chinoise. Des lecteurs ont pu croire qu’il s’agissait d’articles journalistiques. Mais non : c’était bien l’Etat chinois derrière, s’indigne Loris Guémart. Et comment le savoir ? C’est tout le problème. Si on en est à scruter la police de caractère, c’est qu’on a déjà perdu. » 

 

En 2023, une enquête de Radio France, coordonnée par Forbidden Stories, révélait que la plateforme Getfluence « permettait à des annonceurs de payer pour publier des articles sponsorisés sur plus de 3 000 sites d’information sans mention explicite », développe Maxime Tellier, journaliste à la cellule investigation de Radio France et auteur de l'enquête. Des titres comme le Guardian en Grande-Bretagne, le magazine Elle ou Valeurs Actuelles figuraient parmi les médias concernés. 
 

Le prix de la confusion 

Ces pratiques nourrissent-elles la défiance des citoyens envers les médias ? Pour Loris Guémart, c’est une évidence : « beaucoup de lecteurs ou de spectateurs ne font pas la différence entre un article journalistique et un contenu publicitaire, surtout quand ce dernier en reprend tous les codes ». Selon lui, cette ambiguïté « fragilise la crédibilité de la presse. » 
 

Pierre Ganz partage ce constat : « Ce n’est pas tant le sponsoring en soi qui est problématique, mais les risques qu’il fait peser sur l’indépendance éditoriale. Si un journaliste signe un contenu pour promouvoir un produit, comment les lecteurs peuvent-ils encore le prendre au sérieux ? » 
 

« Je ne sais pas si les contenus sponsorisés ont un impact direct sur la confiance envers les médias, nuance quant à lui Maxime Tellier, mais ce type de contenu joue clairement d'une ambiguïté en reprenant tous les codes d'un article journalistique. Il faut que le caractère promotionnel du contenu soit très clair aux yeux du lecteur. Être transparent reste la meilleure des garanties.» 
 

Des réalités différentes 

Le rapport à ces contenus varie selon les lignes éditoriales. « Explore Media n’est pas un journal d’actualité comme Le Parisien ou Libération. Nous proposons du contenu éducatif, vulgarisé, accessible à tous », souligne son directeur de la communication Maximilien Devay. Cette ligne éditoriale permet, selon lui, d’assumer librement les partenariats avec les marques, à condition d’être transparent là encore. Il reconnaît, néanmoins, qu’un contenu sponsorisé mal identifié peut « effectivement ternir l’image du média concerné et, par ricochet, celle de l’écosystème journalistique. »  

C’est pourquoi Pierre Ganz milite pour un vocabulaire plus clair : « Les mentions “sponsorisé ou communiqué ne signifient rien pour beaucoup de lecteurs. Il faudrait écrire clairement le mot 'publicité'. Ce serait plus honnête. » De son côté, Loris Guémart appelle à la vigilance : « Je conseille à tout le monde de traquer tout type d’indice, qu’il s’agisse des logos, des liens d’achat dans le texte, ou même de la typographie utilisée. » 
 

Entre impératif économique et devoir d’information, les médias naviguent à vue. À ce jour, aucune étude française n’a établi de lien direct entre contenus sponsorisés et défiance des citoyens envers les médias. Mais pour les professionnels interrogés, le risque est là, et avec lui, la crainte qu’une confiance trahie ne se regagne pas en un clic. 

      

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